Mon mari, Parkinson et moi,  Où cours-je ?

Le jour où je suis devenue aidante

Je ne pensais pas reprendre ce blog à cause (ou grâce) à ça.

Mais depuis deux ans et demi que nous sommes en errance médicale pour mon homme, à chaque fois que je pensais à ce jour où nous aurions enfin un diagnostic (et j’avais déjà l’intuition que ce serait pas cool comme maladie) j’écrirais un post “Le jour où je suis devenue aidante”. J’espérais malgré tout que ce jour n’arrive jamais. Mais il est arrivé.

Nous sommes le mardi 12 décembre 2023 : je suis devenue aidante.

Dans ce bureau d’un immense CHU, mes yeux ne veulent pas quitter ce petit meuble posé à côté du bureau du professeur, de peur de croiser ceux de mon conjoint ou ceux du médecin et qu’ils s’aperçoivent que les larmes coulent. C’est con. C’est tellement normal comme réaction de pleurer après une telle annonce. Mon conjoint est déjà en pleurs. Je ne veux pas qu’on soit deux à perdre pied. Je n’ai pas le droit de perdre pied. Il en faut bien un de nous deux qui tienne le coup. Je me concentre sur ce que je vois sur ce petit meuble : il y a un lézard en mosaïque, un souvenir de voyage peut-être, des brochures bien trop colorées dont je ne comprends aucun mot, et un énorme tableau en bois avec un caducée argenté, un cadeau d’anciens collègues peut-être. Le sol moucheté du bureau et les lumières des néons me donne l’impression d’avoir le vertige. Mais il aurait été tellement normal d’avoir le vertige. C’est vertigineux une telle annonce ! Mais je ne veux pas flancher. Je me répète que je vais devoir être forte. Qu’il ne faut jamais que je pleure devant lui. Lui, qui a bien plus de raison de pleurer que moi, puisque c’est lui le malade. Il va falloir l’annoncer aux enfants. Comment on annonce ce genre de chose à des enfants ? Et Noël qui arrive. On va être assaillis de questions. Alors même qu’on ne sait presque rien.

Le médecin nous explique : l’hospitalisation pour faire davantage d’examens dans quelques semaines, il rassure comme il peut mon conjoint qui s’effondre. Il nous demande régulièrement si nous comprenons ce qu’il nous dit, nous demande s’il est clair. Je suis incapable d’ouvrir la bouche. C’est à la fois la sidération, la colère, la tristesse et le soulagement qui m’envahissent. Nous savons. Soulagement. Mais après deux ans et demi d’errance, c’est dur d’apprendre cela. Je suis tellement en colère contre tous les médecins qui nous ont dit “c’est rien” ou pire “c’est psychosomatique”. Les médecins qui nous ont laissé sans réponses, sans examens, sans rendez-vous de suivi sans chercher plus loin. En colère parce qu’on s’est tellement pris la tête tous les deux, on s’est tellement engueulés, tellement on souffrait tous les deux sans savoir. On aurait tellement pu faire de choses durant ces deux ans si l’angoisse ne nous avait pas essorés, n’avait pas mis notre couple à rude épreuve ! On aurait pris le taureau par les cornes, on aurait pu démarrer le combat.

Nous repartons du CHU avec un peu moins de doute mais pas de certitude non plus. C’est un syndrôme parkinsonien. Sans savoir lequel. Il faut faire plus d’examens. Je veux prendre le volant, il ne veut pas. Il dit qu’au moins comme ça il n’y pensera pas. J’ai déjà l’intuition que ça va être sa manière de vivre la maladie : refuser toute aide, se battre comme un lion.

Je suis rentrée dans ce bureau en tant que conjointe, femme, et mère. Je ressors avec une casquette de plus : mère, femme, conjointe et aidante. Aidante de mon conjoint qui est atteint depuis plus de deux ans, sans qu’on le sache, ni que les médecins n’arrivent à mettre un nom sur ses symptômes depuis tout ce temps – d’une maladie neurodégénérative qui ne guérira pas. Sauf découverte médicale d’ici quelques années, son état de santé va au mieux stagner, avec un traitement lourd à vie, ou aller se dégradant d’année en année. Et nous ne savons pas encore à quelle vitesse ni le répit que nous avons avant qu’une vraie dépendance s’installe. C’est la dure réalité des maladies dégénératives, c’est elles qui dictent leur rythme. Les malades et leur entourage perdent le contrôle sur l’avenir.

Je suis donc devenue pour le moment une aidante qui n’a pas grand chose à faire de plus qu’être là, l’oreille prête à écouter, le coeur prêt à accueillir avec empathie, mais je sais qu’inéluctablement mon rôle va évoluer d’année en années pour devenir plus complexe, plus engageant.

Dans les quelques heures qui suivent, je réalise aussi qu’il va falloir faire le deuil de la vie que nous nous étions imaginé vivre ici, en Limousin, dans cette grande maison où nous pourrions accueillir du monde, d’où nous pourrions partir à pied faire de grandes balades, où nous pourrions entreprendre de beaux travaux enthousiasmants.

Et c’est le brouillard le plus total, j’ai envie de hurler que c’est injuste, que je n’ai pas envie de cette vie là, qu’on a déjà suffisamment donné en terme de maladie.

Pour le pire et le meilleur dit-on un jour devant une assemblée enthousiaste de nous voir prononcer ces mots. Il a déjà fait le choix de rester avec moi et j’ai déjà fait le choix de rester avec lui, malgré le pire. Une fois. Quand moi-même j’ai été gravement malade. Mais c’était un pire qui était de courte durée. 8 mois dans une vie (dont 6 mois de chimio), ce n’est pas grand chose. Mais là c’est le pire, et c’est pour le reste de nos jours ensemble. Il y aura évidemment des jours heureux, des jours sereins et insouciants, mais chaque jour, au réveil, cela peut être pire que la veille et que ce sera jusqu’à la fin, et qu’il faudra savourer chaque jour de répit.

J’ai la trouille de l’avenir, alors que j’ai pas encore 42 ans. Que je pensais rentrer dans la période la plus belle, la plus active, la plus épanouissante de ma vie. Les enfant sont adolescents, on retrouve une certaine liberté depuis quelques années, mais je réalise que toute cette liberté sera sans doute de courte durée. J’ai soudain peur de devoir renoncer à des projets qui me tenaient à coeur, de devoir renoncer à une vie professionnelle qui me nourrit, peur de me perdre dans ce combat aux côtés de mon conjoint, peur de m’oublier, peur aussi pour notre couple… Ce serait tellement plus simple de fuir, et je comprends tellement ceux et celles qui font ce choix là et en même temps je sens aussi l’envie d’être présente et de me battre, pour lui, pour nous. L’envie soudaine aussi de faire de nouveaux projets, de profiter à fond de chaque minutes.

C’est un mélange tellement étrange et paradoxal. C’est vertigineux. Je me dit que je dois être forte et je me sens tellement petite tout à coup.

Tout a changé ce jour là mais rien a changé. Mon homme est toujours le même, avec ses difficultés à marcher, avec sa volonté de fer, avec son caractère, mais avec un petit truc en plus : une invitée inconnue qui vient de s’immiscer entre lui et le reste du monde et qui va petit à petit tout compliquer.

Et une question qui tourne dans ma tête : c’est quoi être une aidante d’un malade de Parkinson de 44 ans ? Est-ce que j’ai le droit de refuser d’être une aidante ? Et si je refuse, est-ce que cela fait de moi une mauvaise conjointe ?

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