Etre soi-même,  Militer,  Réfléchir

Il n’y a pas mort d’homme !

Que cette expression m’exaspère au plus haut point ! Et qu’est-ce qu’on peut encore tellement l’entendre !

Petit florilège !

Une remarque un peu sexiste à ma collègue de bureau ; ça va… Il n’y a pas mort d’homme !

Crier tous les soirs sur mon enfant, et le brusquer parfois pour qu’il fasse ce que je lui demande de faire ; ça va… Il n’y a pas mort d’homme, nos parents le faisaient aussi !

Demander à un patient de se mettre torse nu pour que écouter son cœur avec un stéthoscope, alors que cela peut être très bien fait autrement ; ça va… Il n’y a pas mort d’homme !

Oublier de demander à un enfant de son entourage s’il est d’accord pour qu’on l’embrasse ou le prenne sur ses genoux ! Mais ça va… Il n’y a pas mort d’homme, et puis il est tellement mignon !

Oublier de dire bonjour au commerçant chez qui on vient de rentrer ; Oh c’est bon, il n’y a pas mort d’homme !

Faire l’amour à son/sa partenaire, jouir, s’arrêter et s’écrouler de sommeil trois minutes plus tard sans égards pour ce qu’iel a ressenti, ce qu’iel voulait, si iel a aimé ou non. Il n’y a pas mort d’homme non plus !

Faire un examen vaginal à une femme sans aucune indication médicale et sans recueillir son consentement, juste parce qu’elle est dans un cabinet de gynécologie et que c’est l’examen de routine peu importe le motif de sa venue ! Il n’y a toujours pas mort d’homme !

Faire une queue de poisson à un automobiliste qui traîne sur la route ! C’est rien, il n’y a pas mort d’homme, il a qu’à avancer plus vite !

Crier chaque matin à son enfant de se dépêcher parce qu’on va être en retard ! Nos parents faisaient pareil, c’est bon on en est pas mort !

Refuser de genrer au féminin, un homme qui a choisit de devenir femme. Tu vas pas me dire que c’est grave, il n’y a pas mort d’homme !

S’immiscer dans une conversation entre deux collègues qui chuchotent à la machine à café sans leur demander si on ne les dérange pas ! C’est pas comme s’il y avait mort d’homme !

Demander à sa fille et son conjoint quand est-ce qu’ils vont se décider à faire un enfant (ou à se marier) ! Oh c’est bon, on a le droit de demander, non ? Il n’y a pas mort d’homme !

Réprimander un salarié parce qu’il arrive souvent avec dix minutes de retard, sans s’inquiéter de la raison de ses retards répétés, sans prendre la peine d’en discuter avec lui. Après tout, c’est moi le patron, il n’y a pas mort d’homme !

Demander à sa fille de mettre une jupe pour aller à la messe, puis lui demander de changer de jupe parce que celle qu’elle a choisi est trop courte ! C’est juste une histoire de jupe, c’est pas la mort quand même !

Faire une consultation médicale pré-vaccinale au milieu d’autre médecins sans qu’aucune intimité, et sans que le secret médical du patient puisse être respecté. Il n’y a vraiment pas mort d’homme !

Croiser une femme en mini-jupe dans la rue, et la siffler ! Il n’y a pas mort d’homme, c’est même plutôt flatteur, non ?

Evidement qu’il n’y a pas un être humain qui meurt dans chacune de ses situations ! Mais un humain traité par un autre humain sans respect, sans attention, sans égards pour ce qu’il ressent, peut vivre cela comme une agression. De la violence ordinaire certes. Certains diront des incivilités. Soit. C’est de la violence.

La violence n’entraîne pas forcément la mort physique. Elle peut aussi entraîner une mort psychique. Celle qui peut survenir à force de peur, de honte, de culpabilité, de tristesse, de colère. Pour peu que cela se répète, plusieurs fois, dans plusieurs contextes différents, ou alors pire, dans le même contexte, par la même personne, et on obtient aussi des traumas, à la longue, à force de harcèlement. Une impuissance acquise. (Article très intéressant à lire par ici) qui peut amener à une dépression, des pensées suicidaires ou à de la dissociation. Un traumatisme n’est pas forcément dû à un seul acte violent isolé tel qu’un viol ou une agression. La violence ce n’est pas forcément des coups, des paroles dures, de la force physique exercée sur un corps qui laisse des traces visibles. La violence c’est toutes ces petites choses qui ne prennent pas soin de l’autre, de l’humain, du vivant en face de nous. Nous sommes tous violents. Un moment ou un autre. Violent envers les autres, violent envers la nature, violent envers nous-même. Violent par méconnaissance, par négligence, par manque de ressources (matérielle, financières, physiques, psychiques…), par manque d’attention, et de bienveillance.

Toutes ces petites violences auxquelles on a été habitués, toutes ces petites violences perpétrées pendant des siècles sous prétexte que ce qui “ne nous tuait pas nous rendait plus fort”, que c’était pour notre bien, que l’intention derrière était bonne ! La violence ordinaire, quoi ! La violence est partout. Refuser de la voir, de l’entendre, de l’admettre c’est la nier, et c’est empêcher les prises de consciences et le changement de paradigme ! Utiliser l’expression “Y’a pas mort d’homme” c’est nier les émotions et les besoins d’un être humain confronté à de la violence, aussi “infime” soit-elle : l’inconfort, le dégoût, la colère, le besoin de sécurité, d’être respecté, de bienveillance, d’accueil, d’écoute.

Alors non, il n’y a pas mort d’homme. Mais aujourd’hui dans cette société où il n’est plus question de chasser, de cueillir et de se défendre face à des bêtes féroces, et où l’espérance de vie n’a jamais été aussi haute, je crois qu’on peut avoir d’autres ambitions que juste ne pas mourir trop vite non ?! Entre le début et la fin de la vie, peut-être qu’il serait bon de penser à bien vivre, harmonieusement avec ceux qui nous entourent et avec nous-même ? A vivre dans la dignité en faisant respecter tout ce qui constitue l’être humain que je suis : mon corps, mon intimité, mon sexe, mes préférences sexuelles, le genre qui m’a été attribué à la naissance ou celui que je choisis, mon rythme, ma personnalité, mes défauts, mes qualités, ma féminité et ma masculinité, mon envie d’enfant ou pas, mes soucis quotidiens, mon introversion, mon extraversion, mon atypie, ou mon handicap, mes imperfections, mes ombres et ma lumière, mes origines, ce que j’ai à dire, à partager, à apporter dans les collectifs où j’évolue, mes compétences, mes centres d’intérêt, mes idées politiques, mes convictions religieuses, ou mon absence de convictions religieuses…

Et à ceux qui répondront que c’est bien un privilège de riche de se soucier de son bien-être et de son respect, (si si je vous entends au fond de la salle…) s’occuper et s’inquiéter de cela pour soi et ceux qui nous entourent au quotidien, c’est aussi mieux voir et refuser toutes les autres formes de violence : la précarité sous toutes ses formes, les violences migratoires et ethniques, les guerres, l’exploitation de peuples par d’autres, les régimes totalitaires, les embrigadements sectaires… Refuser toute forme de violence c’est tout simplement prendre du soin du vivant dans toute sa diversité : de l’humain, à la nature, en passant par les animaux et les milieux marins ! En commençant par soi, pour être moins violent avec les autres ! “Un citoyen pacifié est un citoyen pacifiant” nous dit Thomas d’Ansembourg dans un de ses livres. Je le rejoint totalement ! Ahimsa !

Quand on est sensibilisé à la violence sous toutes ces formes, c’est vertigineux de vouloir la combattre !

Mais c’est le seul moyen pour l’humanité de sauver sa peau ! Car sinon il y en aura des morts d’homme !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *