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Ménage à trois

Depuis trois ans, d’abord sans savoir de qui il s’agissait, nous avons démarré un ménage à trois, mon mari, la maladie et moi.

Depuis le mois de décembre 2023, cette troisième “personne” a un nom. C’est un syndrôme parkinsonien.

Je lutte contre mon cerveau pour ne pas associer mon mari à sa maladie. Il n’est pas sa maladie, il a une maladie. Son manque d’entrain parfois, son manque de désir, ses difficultés, ce n’est pas lui. C’est sa maladie. Et finalement c’est ça le plus dur à vivre au quotidien. La maladie m’a enlevé le mari que je connaissais. Elle est à l’oeuvre depuis trois ans (peut-être même plus finalement quand j’y repense) et modifie petit à petit notre relation, en le faisant évoluer, mais pas toujours comme j’avais espéré qu’il évolue et qu’on évolue ensemble. Avec cet exercice de bien dissocier mon mari et sa maladie, j’ai désormais l’impression qu’il y a toujours quelqu’un près de nous quand nous sommes tous les deux. Une troisième personne. Elle est là entre nous dans le lit conjugal, elle est entre nous à table, dans nos conversations, elle se tient là, à côté, en silence et nous observe. Quand on se balade à pied, on la traîne comme un boulet au bout de nos pieds. Et je prends conscience qu’on ne sera plus jamais seuls. J’aimerais tellement qu’on puisse la laisser à la porte de notre chambre d’amoureux par exemple. J’aimerais tant qu’on la laisse dans le coffre de la voiture quand on part en balade.

Depuis quelques jours, encore plus qu’au mois de décembre, je sens clairement que je rentre dans une période de deuil. Passé le soulagement des premières semaines après le diagnostic, j’intègre avec beaucoup de tristesse que tout ce que j’ai connu de nous, de lui, ne sera plus. Tout sera sans cesse nouveau et en perpétuelle évolution, mais pas forcément pour le meilleur. On attend normalement qu’avec les années une relation se renforce, qu’on se comprenne de mieux en mieux, qu’on se connaisse peut-être même au bout d’un moment par coeur. Que la communication soit plus facile avec le temps.

Tout va être désormais beaucoup plus fluctuant. Il va y avoir bien plus de réajustement et de communication nécessaire pour ne pas la laisser prendre toute la place. Dans un couple, on se réajuste sans cesse, c’est vrai, mais là, je vois bien que cela va être démultiplié, parce qu’il y a toujours une troisième personne entre nous, je le sens, elle est sans cesse là, qu’on le veuille ou non.

Nous avons démarré un marathon de la communication, de l’écoute, du réajustement. Nous pour qui ce n’était pas déjà le truc le plus facile, c’est comme si dans un jeu vidéo, nous étions passés au niveau supérieur, mais avec peu de ressources, peu d’énergie, et un seul point de vie. J’ai bien peur que la marche soit trop grande.

J’en viens à douter de mes capacités. Suis-je assez forte pour ça ? Ai-je envie d’une vie de couple comme celle-ci, à 42 ans où tout va être (encore) plus dur ? Alors que je ne suis qu’à la moitié du chemin et que je pensais que la moitié restante serait la plus belle. Comment voir dans ce ménage à trois qui démarre la possibilité d’une vie de couple plus belle ? Comment ne pas laisser cette partie-là de ma vie émotionnellement éprouvante bouffer le reste de ma vie, professionnelle, amicale, parentale ?

L’impression aussi tout à coup de ne pas avoir le droit de lui partager mes difficultés, mes angoisses. Que j’ai un rôle à tenir, celui de soutien, de support. Mais comment être un support, un soutien quand on sent que le sol se dérobe sous nos pieds ? A qui parler ? Les copains et copines sont tellement loin de pouvoir comprendre ce qui se passe dans mon coeur, dans ma tête et dans mon corps.

Alors j’essaie de trouver des réponses dans les témoignages d’aidants. De tout tout ce que je lis ou entend comme témoignages, rien est fait pour me rassurer et rien n’est fait pour me dire que malgré tout, cela sera une opportunité pour une belle vie. Je ne lis aucun témoignage qui raconte combien la maladie (de parkinson en tout cas) a rapproché les couples, les a rendu plus fort, plus complices ! Je lis au contraire que la maladie a provoqué beaucoup de séparations, de difficultés, de souffrance, de part et d’autres. Sans doute est-ce biaisé ? Que je ne suis pas encore capable d’entendre que tout cela peut-être une opportunité. Pour le moment je ne vois que ce qui est de l’ordre de la perte. Pour le moment je suis en deuil.

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