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J’ai rencontré une petite fille blessée

A l’occasion de la 18ème journée contre les violences éducatives ordinaires* (voir en fin d’article la définition et les liens utiles) qui se déroule ce vendredi 30 avril, j’avais envie de contribuer à faire connaître cette réalité et l’impact que cela a sur notre société à travers nos parcours individuels en vous racontant l’histoire d’une petite fille. Pour cette raison, il peut être fort en émotions puisqu’il aborde une réalité douloureuse partagée par un grand nombre d’entre nous. Si vous ne vous sentez pas de le lire, si vous vous sentez vulnérable ou que ça provoque en vous de la gêne à l’évocation du thème des blessures d’enfance, des violences éducatives ordinaires, sans doute que ce billet n’est pas pour vous, pour le moment.

Je ne vous en voudrais pas de passer votre chemin ! Si vous vous sentez appelé à le lire… la petite fille dont je vais vous parler sera alors extrêmement reconnaissante que vous preniez ce temps-là. Elle espère ainsi aller à la rencontre de votre enfant intérieur également… peut-être qu’ils ont des choses à se dire 😉


Je vais vous raconter l’histoire d’une petite fille, qui pourrait ressembler à l’histoire de centaines de petites filles. Je l’ai rencontrée il y a quelques semaines, c’est une petite fille profondément blessée. Lors d’une de nos conversations, je lui ai demandé ce qu’elle ferait si elle avait une baguette magique. Elle m’a répondu qu’elle aimerait empêcher tous les parents et adultes de cette Terre de faire subir la même chose à d’autres enfants. Alors, j’ai eu envie de vous parler un peu plus d’elle, car c’est une petite fille qui a été un peu trop transparente et qui mérite d’être connue … !

Tout d’abord, je dois vous confesser que je la trouve très belle. Elle a des longs cheveux châtains épais et ondulés. Elle les attache très souvent en queue de cheval un peu stricte, ou qu’elle tente de discipliner sous un serre-tête. Sa maman lui dit sans cesse que quand on a les cheveux longs, on doit les attacher. Elle a des yeux de couleur marron, un regard malicieux et mélancolique à la fois, parfois vide, un peu perdu. On dirait qu’elle a soufflé dans son bol du petit-déjeuner avec une paille et que s’est imprimé toute une constellation d’étoiles couleur chocolat sur ses pommettes ! Sans doute qu’elle a déjà eu ce genre d’idée drôle et farfelue, mais elle a du avoir peur de la mettre en oeuvre, cela n’aurait pas plu à son père ! Elle se ronge les ongles parce qu’elle est un peu anxieuse de nature. Ses parents voudraient bien qu’elle abandonne cette mauvaise habitude quitte à user de tous les subterfuges possibles mais c’est plus fort qu’elle ! Elle se réfugie souvent dans ses rêveries et dans son imaginaire, alors on dit d’elle qu’elle est dans la lune. Mais c’est si doux de rêver et de s’échapper de sa réalité…

En CP, sa maîtresse, une femme élégante d’une cinquantaine d’année chargée de lui apprendre à lire, utilise sa propre méthode syllabique, créée de toute pièce grâce à sa passion pour la Chine ! C’est l’histoire d’un petit garçon, “Mao part en Chine”. Un des tout premiers jours d’école, la maîtresse explique à la classe, qu’ils vont faire un grand voyage en Chine, et qu’ils partent dès le lendemain ! La petite fille rentre tellement heureuse de cette perspective, tellement pressée de faire sa valise et de préparer ses affaires… Mais sa maman, oubliant elle-même qu’elle avait été une petite fille, affirme, en s’énervant presque devant l’insistance de la petite fille, que cela ne peut pas être vrai et qu’il est impossible que la maitresse organise un voyage sans avoir prévenu les parents avant ! Mais pour la petite fille, si la maitresse l’a dit, cela ne peut-être que vrai ! Elle ressent alors un grand chagrin de ne pas être cru et une grande angoisse… que se passera-t-il le lendemain si elle arrive à l’école sans son sac de voyage, sans sa poupée et sans son pyjama ? Elle ne pourra pas partir en voyage avec le reste de la classe et se retrouvera toute seule. Elle ressent une grande honte à l’idée de ne pas avoir de bagages alors que ses copains se seront tous préparés à ce grand voyage ! Son imaginaire lacéré par le pragmatisme froid et insensible d’un adulte… voilà une de ses premières blessures sans doute.

Elle est discrète. C’est une petite fille sage. Elle ne parle pas très fort. D’ailleurs, souvent, quand vous l’écoutez, vous êtes obligé de la faire répéter car vous n’entendez pas ses fins de phrase. Sur ses bulletins de notes, ses professeurs répètent de manière immuable, d’années en années “élève discrète, fait peu d’effort à l’oral, doit participer davantage si elle veut progresser”. Elle a peu de copains, copines. Elle a d’ailleurs plus de copines que de copains. De toute façon les garçons ça se moque et c’est vraiment pas gentil. Elle ressent souvent de la honte. Honte de ne pas être habillée comme tous les autres enfants, honte de ne pas avoir les mêmes centres d’intérêts que les copains de classe, honte de ne pas avoir la télé à la maison, elle se sent différente, n’a pas les mêmes jeux, et ne sait rien de la vie. C’est une copine de classe à l’école primaire qui lui apprendra que les mamans ça perd du sang parfois, mais que c’est normal parce que c’est elles qui portent les bébés. Elle se sent en décalage permanent. Elle ne se sent jamais à sa place dans un groupe. Elle a l’impression que ses parents n’aiment pas beaucoup les parents de ses camarades, ils n’en disent pas toujours du bien. Cela ne l’aide pas à se sentir à l’aise avec les autres.

Au collège, sur les photos, à côté de ses copains qui ressemblent déjà à des ados rebelles en survet’, jean et baskets, elle paraît encore si petite fille. Le sourire discret des portraits de classe cachent un secret : elle n’est pas heureuse. Elle a même quelques fois pensé que ce serait plus facile si elle n’existait plus. Mais elle a trouvé la force, elle ne sait même pas comment, de ne jamais passer à l’acte.

Sur le trajet du retour du collège, elle traîne un peu seule, elle aime passer par le parc pour se poser un peu et rêver assise sur un muret ou une balançoire : elle traîne pour ne pas rentrer chez elle de suite. Son papa exerce son métier à leur domicile. Sa maman travaille aussi beaucoup et même si elle est présente la plupart du temps à la maison à la sortie de l’école, la petite fille sent bien qu’elle n’est pas très disponible. Elle souffre d’un fort sentiment de solitude. Quand elle franchit enfin la porte de la maison elle doit faire attention, ne doit pas faire de bruit sous peine de déclencher le regard noir de son père. Elle est contrainte de prendre son goûter de manière très discrète, car la cuisine donne dans le salon, là où son papa travaille. Découper vite un morceau de pain, ouvrir le placard où sont rangées les plaquettes de chocolat, mais sans faire claquer la porte du placard… et filer dans sa chambre sur la pointe des pieds. Passer de longues heures enfermée, à écouter de la musique, lire ou écrire… et s’évader dans ses rêveries pour ne pas trop penser à comment va se dérouler le reste de la journée, à ce qui va lui tomber dessus et imaginer une vie future douce et avec beaucoup d’amour, tant elle a l’impression d’en manquer dans sa vie réelle.

Elle craint son père. Il se montre violent parfois, une tape sur la main, des gifles, des tirages d’oreille, des coups de pied aux fesses. Mais c’est pour son bien… Elle sait bien qu’il faut que les enfants obéissent pour devenir des adultes dociles et travailleurs. Il n’y a que comme ça qu’on s’en sort ! Elle est morte de peur quand il s’emporte verbalement, rentre dans des colères froides et noires. Pour un rien : un lit pas fait, une heure de lever un peu tardive, une tenue inappropriée, une main un peu leste sur la bouteille de parfum. Mais le pire, c’est sans doute la violence psychologique dont il use ! Elle est punie dans sa chambre régulièrement, elle est parfois privée de repas, elle se sent nulle, indigne de l’amour de ses parents. Ses notes à l’école sont des prétextes à des négociations ou des privations. “Pas d’anniversaire avec les copines pour toi si tu ne relèves pas ta moyenne” ! Elle est privée de dessert de temps en temps. Elle doit s’asseoir sur un tabouret pendant les repas pour qu’elle se tienne droite, sans mettre les coudes sur la table. Elle est contrainte d’aller à la messe chaque dimanche et de porter une jupe, mais pas trop courte, ça n’est pas de très bon goût ! Le choix de son orientation sera l’objet d’énormes disputes lors de repas de famille, et d’un déchaînement de propos humiliants, “la fac c’est pour les glandeurs, tu as besoin d’aller dans une école où l’on te filera des coups de pieds aux fesses, sinon tu ne feras jamais rien de ta vie !”. La musique qu’elle écoute “ce n’est pas de la musique, c’est de la tambouille” Elle a l’impression que tout ce qu’elle fait, choisit, rien n’est jamais assez bien aux yeux de son père.

Il existe des moments de répit, de joie et de rire…mais ni assez nombreux, ni assez affectueux pour effacer, réparer toutes les entailles provoquées par la violence éducative ordinaire* qu’elle subit au quotidien. Il y a également une sorte de magie qui s’opère quand il y a des invités à la maison qui viennent manger le week-end. L’ambiance est enfin légère et elle se sent revivre ! Elle connaît très vite ce blues du dimanche soir, quand la routine revient, et avec elle les ennuis.

Cette petite fille est devenue une belle jeune fille aux cheveux encore plus longs, une lycéenne au corps noyé dans des vêtements trop larges. Mais elle ne recevra jamais un compliment de son père sur la belle jeune fille qu’elle est en train de devenir.

Forcément, jamais un garçon ne l’aborde pour lui dire qu’elle est jolie, qu’il aimerait sortir avec elle tellement elle est invisible. Faut dire qu’elle se sent tellement maladroite avec sa féminité. Qu’en faire ? Elle a découvert plus tôt, au collège, qu’en qualité d’humain de genre féminin, elle pouvait provoquer de la violence chez les garçons et être considérée “comme une cocotte” par le premier homme de sa vie parce qu’elle a osé mettre du parfum. Un jour elle s’est retrouvée coincée par un garçon de sa classe dans le coin d’un garde-corps sur un pallier entre deux escaliers. Il l’a agressée physiquement, a essayé de l’embrasser, il s’est frotté à elle. Elle a essayé de se débattre, mais n’a pas réussi à se défaire de son emprise, elle a été sauvée par la sonnerie de l’intercours. Elle se demande même s’ils n’ont pas été plusieurs garçons à vouloir l’embrasser de force ce jour-là. Elle n’en a jamais parlé, elle n’y a jamais vraiment repensé, jusqu’à l’affaire #meetoo et #balancetonporc.

Il y a bien ce garçon de sa troupe de théâtre qui la traite avec beaucoup de prévenance, de gentillesse, de douceur, elle voit bien son petit jeu, mais elle le laisse ramer ! Il est gentil, mais elle ne sait pas trop quoi faire de cette gentillesse, mérite t-elle vraiment qu’un garçon gentil s’intéresse à elle ?! Est-il seulement “normal” puisqu’il est si prévenant, si doux ?! Il finira par lui avouer ses sentiments. Pourquoi refuse t-elle ses avances ? Elle ne le sait même pas. Elle vit une amourette au lycée, mais le garçon en question la quitte au bout de dix jours. Sans doute les dix jours les plus merveilleux de sa vie jusque-là, elle a été sur un petit nuage, c’était tellement bon de se sentir aimée et désirée. Alors elle cherche à tout prix à sortir avec d’autres garçons, dès qu’un copain manifeste un tant soit peu d’attention bienveillante envers elle, cela la chamboule tellement, elle n’est tellement pas habituée qu’elle prends ça pour un signe. Toutes ses tentatives se soldent pourtant par des refus. Elle se demande même au bout d’un moment, si elle ne devrait pas plutôt devenir bonne soeur… au moins pas de problème de séduction et pas de garçons… et une vie tranquille, reclue en silence lui semble parfois une bonne idée ; et la spiritualité c’est si beau !

L’été de ses seize ans, elle part, un peu forcée par ses parents, en camp de jeune avec une association catho pour faire une partie du chemin de saint Jacques de Compostelle, pour qu’elle se “bouge un peu les fesses” ! Une autre année c’est un autre camp de jeune, pour “rencontrer du monde” et “faire quelque chose de son été”… Elle s’amuse bien, mais elle ressent toujours cette sensation de décalage avec les autres jeunes de son âge, n’arrive pas trop à s’intégrer, comme si elle était extérieure au groupe.

Pendant tout ce temps-là, elle noircit des pages entières de cahier à petits carreaux qu’elle décore en découpant des images dans des magazines pour qu’ils deviennent des carnets intimes et secrets, se confie à ses copines par lettres interposées, démarre l’écriture d’un roman, écrit des poèmes. S’occupe du journal du lycée et apprends toute seule à se servir d’un logiciel de mise en page. L’écriture devait être thérapeutique sans doute. Elle n’a aujourd’hui aucun souvenir de ce qu’elle pouvait dire à ces confidents de papier. Elle lit des livres qui la font s’évader. Emilie Brontë et ses hauts du Hurlevent la bouleverse, Le Horla de Guy de Maupassant la fascine, le film le Cercle des Poètes Disparus lui tire tellement de larmes, elle s’identifie un peu au héros, la douce folie de Daniel Pennac et de sa famille Malaussène la séduit. Deux films, visionnés au cinéma au lycée la marque profondément : Pleasantville et Festen. La pièce qu’elle joue au théâtre “En attendant Godot” est une révelation – l’absurdité peut cacher un sens très profond pour qui veut bien tenter d’en percer le mystère ! Elle rêve alors d’écrire un film ! Elle imagine des scènes dans sa tête lorsqu’elle s’endort, elle cherche même quelle musique elle pourrait choisir pour la bande originale de son film.

Quand elle sent quelques semaines après ses dix-huit ans qu’elle plaît à celui qui deviendra son mari, elle se sent soudainement très forte ! Cette histoire d’amour augmente l’intensité des violences psychologiques de son père, car pour la première fois de sa vie sans doute, elle va tenter de s’opposer à lui. Sa nouvelle relation amoureuse fait presque l’objet de chantage. Elle se retrouve à devoir faire un choix qu’une jeune étudiante de dix-neuf ans n’a pas à faire : si elle veut s’émanciper et refuse de suivre la voie que son père a imaginé pour elle, elle n’a plus qu’à quitter la maison, ou alors elle rentre dans le rang ! Elle choisit de quitter la maison parentale : les amoureux n’ont pas d’autre choix que de se fiancer pour s’installer dans leur premier appartement, parce que cela ne se fait pas de vivre sous le même toit, sans s’engager.

Elle vit une ultime humiliation quand son père refuse de l’accompagner jusqu’à l’autel pour son mariage quelques années plus tard.

Pendant plusieurs années elle prends de la distance avec ses parents et sa famille. Pour sa survie. Comme un animal blessé, elle se cache pour panser ses blessures. Et les années passent.

Un jour, alors qu’elle attend un heureux évènement et prépare la future chambre du bébé, elle jette tout : ses poèmes, les cinquante pages manuscrites de son début de roman, ses journaux intimes, ses correspondances. Comme si elle avait honte de cette petite fille qui existe à travers ses centaines de pages calligraphiées. Comme si son imaginaire, toutes ces histoires qu’elle s’était racontées, elle n’avait plus ni le droit d’y penser, ni le droit de les vivre alors qu’elle s’apprête à devenir maman. Elle faut faire de la place à un autre petit être, un autre chapitre s’ouvre. En mettant tout ça à la poubelle, c’est un gros morceau d’elle-même qu’elle renie et jette aux oubliettes.

Cette petite fille humiliée, blessée, oubliée, se recroqueville alors, dans le noir, pleurant en silence toutes les larmes de son corps. Pendant que la jeune femme qu’elle est devenue vit sa vie comme elle peut, devient maman, se bat contre un cancer (tiens, tiens…) toujours inconsciemment encombrée de toutes ces blessures, de toutes ces humiliations, qui l’empêche d’être pleinement épanouie et sereine. Des tas de choses “coincent” dans sa vie, comme des cailloux dans sa chaussure. Elle fait bien une petite dépression avant la naissance de son second enfant. Mais elle s’en accommode et en cinq ou six séance psy c’est réglé, croit-elle… Elle réussit même à créer sa propre activité professionnelle et trouve qu’elle s’en sort plutôt pas trop mal ! Elle ressent même une certaine fierté et a l’impression de cette manière d’avoir fait la paix avec son passé. Et se surprends même à penser que sans son éducation, elle n’aurait pas réussi à faire ça ! Après s’être torturée à vouloir tout contrôler, et tout gérer de front parfaitement, elle se donne le droit de se ficher la paix sur pas mal de sujet. Elle ne sera jamais une mère, une épouse et une femme parfaite. Intuitivement convaincue que la vie est déjà bien assez violente comme ça pour s’infliger des trucs qu’elle trouve pas cools, elle se mets en quête d’un mode de vie plus en adéquations avec ses valeurs et ses aspirations sans vraiment voir où tout cela va la mener. En osant faire son petit bonhomme de chemin en s’affranchissant maladroitement des conventions et des qu’en dira t-on, elle se rapproche sans le savoir du chemin pour retrouver et faire la paix avec la petite fille blessée au fond d’elle.

Un soir de décembre, cette petite fille blessée, oubliée dans un coin, et en larmes est venue frapper à ma porte, venant chercher désespérément de l’aide pour trouver de l’écoute, guérir ses blessures et recevoir toute la Compassion et l’Amour dont elle avait cruellement besoin.


Cette histoire est inspirée de mon histoire, vous l’aurez sans doute compris. J’ai pu paraître très impudique (et je n’ai volontairement pas tout raconté et modifié certains faits avec des situations qui m’ont été raconté par d’autres petites filles blessées). L’histoire de cette petite fille que j’ai été ressemble j’en suis sûre à beaucoup d’autres histoires de petites filles et petits garçons blessés, et je suis intimement persuadée que certains détails réveilleront peut-être certain d’entre eux qui eux aussi viendront frapper à votre porte. Ouvrez leur ! Ce sont des histoires tristes, il faut l’avouer, mais les écouter est libérateur !

Cela peut également paraître très impudique car c’est encore un énorme tabou dans notre société et je pourrais donner l’impression de vouloir régler des comptes. Ce n’est pas le cas. J’ai beaucoup lu sur le sujet ces derniers temps et malheureusement dans les violences éducatives ordinaires, les figures parentales ne font que reproduire un schéma éducatif, une violence ancrée en eux à cause de leur propre éducation, et nous-même sans autre modèle sommes bien démunis dans notre rôle éducatif, et sans prise de conscience individuelle, nous aurons tendance à reproduire les mêmes schémas. Alors même que notre société réalise doucement que ce n’est peut-être pas la bonne façon de faire, on ne nous a pas donné davantage le mode d’emploi qu’à nos parents ! Cela n’excuse pas la violence, mais cela l’explique.

Alors certes, ce n’est ni une histoire de viol, ni d’inceste ou de maltraitance manifeste. Il ne s’agit “que” de violence éducative ordinaire*, de celle qui s’exerce encore dans beaucoup de nos foyers. Mais cette violence là aussi fait des ravages et même si ce ne sont “que” des fessées, des paroles blessantes et qu’on en meurt pas, cela reste de la violence. Des enfants élevés dans la violence – même minime – ne se développent pas sereinement et ne font pas des adultes heureux et épanouis, contrairement à ce qu’on nous a fait croire pendant des années. Je viens de prendre cette réalité en pleine poire, à presque quarante ans, même si intuitivement j’éprouvais moi-même une grande souffrance – sans en comprendre l’origine – à reproduire certains comportements dictés par le modèle d’éducation que j’avais reçue. Je viens de comprendre, de mettre des mots, d’arracher le putain de pansement que j’avais mis pendant des années sur mes plaies sans m’en occuper.

Ceci est l’histoire de tous ces enfants abîmés par l’éducation issue du modèle patriarcal, un modèle qui considère que les parents sont des êtres supérieurs, les détenteurs d’une vérité : les enfants doivent obéir aux parents, se plier à leurs volonté, car seuls eux savent : qu’on ne réussit qu’à condition d’exceller dans l’effort et la souffrance, d’en faire toujours plus, de se conformer à une norme, de rentrer dans un moule, et d’être meilleur que les autres. S’ils n’éduquent pas leurs enfants avec ce modèle, ce sont des parents laxistes, sans volonté, ce sont… de mauvais parents !

C’est l’histoire de petites filles à qui on a fait croire qu’elles ne pourraient rien faire seules, qu’elles ne pouvait pas exercer certains métiers, que leur rôle était d’enfanter (dans la douleur) et d’être au service de leur famille quitte à s’oublier, à qui on a fait croire que le genre féminin devait se soumettre au genre masculin et à leur désir, pire qu’elles provoquaient du désir et que c’était mal.

C’est l’histoire de petits garçons à qui on a fait croire qu’être le plus fort était la seule voie, plus fort que leurs copains et plus fort que les filles, que pleurer, ressentir des émotions ce n’était pas bon pour eux, et pas assez “viril”. Qu’ils se devaient de subvenir aux besoins de leur famille et d’assurer leur sécurité matérielle, que leur vie professionnelle n’avait que cet unique objectif.

J’ai réalisé à l’occasion de ma thérapie combien la mémoire traumatique pouvait aussi concerner les petits humains blessés comme moi. Comment les souvenirs des événements désagréables (même s’ils ne sont pas des viols ou de la maltraitance pure et dure) s’enfouissaient facilement pour ne pas qu’on les revive. Combien notre cerveau était bien fait, et agissait en protecteur. Combien la moindre humiliation, la moindre blessure laisse une trace physiologique, biologique et empêche de grandir correctement. Comment la vie que l’on vit adulte nous donne l’occasion de reproduire ces violences sur nous-même avec toutes les injonctions qui nous sont servies chaque jour. Et combien, cette enfance vécue dans la souffrance rejaillit souvent plus tard sous forme d’affections psychiques diverses et variées : dépression, toc, bipolarité, addictions, … et burn-out et tous les syndromes d’épuisement qui s’y rattachent. (il suffit de lire des papiers scientifiques sur l’impact de ces violences sur le cerveau de l’enfant, et sur les mécanismes qu’elles engendrent à l’âge adulte pour en être définitivement convaincus)

Au delà des blessures, il y a toutes ces croyances ancrées en nous. Je n’ai pas encore réussi à faire taire ces injonctions, ces petites voix qui m’ont empêchées d’avoir de l’ambition, de briller, d’aller à mon rythme, de faire ce que mon coeur, mon imagination, mon âme ont besoin de faire et pour lesquelles elles sont douées malgré la prise de conscience déjà ancienne de ces petites voix. Je n’ai pas appris à apprivoiser ma propre puissance, car elle a été muselée au lieu d’être accompagnée et guidée. Je ne sais pas si j’y arriverais complètement un jour et que j’arriverais à me libérer de tout ça. Sans doute qu’il me faudra une vie entière !

Maintenant que je sais que j’abrite en moi une petite fille blessée, j’ai une rage, une colère en moi que je vais essayer d’utiliser à bon escient ! Je ne sais pas encore comment, mais j’ai envie de puiser dans ses blessures, la force et la douceur nécessaire pour participer à dessiner un nouveau monde. Un monde idéal où jamais plus aucune petite fille, ni petit garçon ne pourra voir sa puissance réduite en miette par des adultes à qui on a interdit pendant des années l’accès à leur propre puissance et qui faute de l’avoir apprivoisée et canalisée (et c’est à ça que doivent surtout s’employer vraiment les parents) s’en servent ensuite à très mauvais escient contre leurs propres enfants, contre eux-même, contre les autres, contre le monde qui les entoure, et contre les autres espèces, animales ou végétales. Cela n’est pas facile, mais cela en vaut clairement la peine !


* Pour en savoir plus sur les violences éducatives ordinaires, voici une petite sélection de liens que je considère utile à lire :

La Violence Éducative Ordinaire (plus souvent nommée « VEO »), est la violence (physique, psychologique ou verbale) utilisée envers les enfants à titre éducatif (corrections, punitions) communément admise et tolérée (« ordinaire »). Plus simplement : claque, fessée, tape mais aussi humiliation, chantage affectif, privations…

  1. Des articles généralistes sur le sujet :

Apprendre à éduquer autrement – article généraliste

Un article du site Les Petits Citoyens.

Un article du Huffington Post

Liste de ce qu’on peut considérer comme des violences éducatives ordinaires.

2. Les sites internet “ressources” :

Le site OVEO (Observatoire de la Violence Educative Ordinaire)

Stop Oveo – article sur les conséquences psychologiques des violences éducatives ordinaires (association qui milite pour une législation plus sévère contre les violences éducatives ordinaires)

3. Les précurseurs et militants contre les VEO (ou parentalité positive), dont vous pouvez lire les livres, les interviews, les conférences, …

Alice Miller, Olivier Maurel, Catherine Gueguen, Isabelle Filliozat, Maria Montessori, …

La page Wikipedia d’Alice Miller. Première psychanalyste à s’être intéressée à ces sujets et qui a écrit de nombreux livres sur le sujet.

4. Quelques pages facebook, podcasts, groupes de parents et de parentalité positive.

Les adultes de demain, blog et podcast créée par une fille et sa mère, enseignante.

Je pourrais vous mettre des dizaines de lien, tellement j’ai fait de recherches sur le sujet ces derniers temps ! J’ai aussi bien augmenté ma pile de livres à lire !

Ce sujet apparaît ici sur ce blog pour la première fois, mais certainement pas pour la dernière fois !

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