Journal d'un confinement,  Où cours-je ?

Semaine 6. Culpabilité

Normalité et routine

Cette sixième semaine de confinement (du 20 au 26 avril 2020) est passée à une allure folle. Vendredi soir, quand nous nous sommes posés pour la pizza maison hebdomadaire, (oui chez nous, lundi ce n’est pas raviolis, mais vendredi c’est pizza maison !) J’ai eu du mal à me dire qu’il nous restait plus que deux semaines avant le déconfinement “officiel” !

C’était la “rentrée” de l’école à la maison. On commence à être sacrément rodés et à part un peu de flottement le lundi matin, dès le mardi, les devoirs de Gaspard étaient terminés à 11h. Et Camille a trouvé également son rythme de croisière, à moins que ce soit les profs qui donnent moins de boulot. Je n’arrive pas bien à identifier ce qui fait que j’ai l’impression qu’elle bosse moins ! En tout cas, à part quelques râleries de Gaspard, tout cela me paraît beaucoup plus facile à gérer. Sans doute parce que nous nous y habituons tranquillement, que ce n’est plus du domaine de l’inconfortable.

Cela n’empêche que je trouve les journées très répétitives tout de même et que j’ai du mal à trouver le sommeil le soir, car je suis bien moins fatiguée que d’habitude, tout en étant depuis plusieurs semaines dans une sorte de léthargie et ralentissement chronique mais tellement bon. Je m’endors de plus en plus tard, faute de ressentir le besoin de sommeil et pour retarder cet instant de l’endormissement où je me dit “demain c’est rebelotte”… Je ne sais pas trop ce que va donner la reprise, mais j’ai le sentiment que reprendre un rythme de travail “normal” – même si ce ne sera sans doute pas pour tout de suite, va être sans doute demander une nouvelle grosse période d’adaptation.

Culpabilité

Cette semaine j’ai été envahie très régulièrement de culpabilité. Face au besoin de masque, à tous les besoins qui s’expriment dans la société : distribution alimentaire, solidarité avec les soignants, élan de solidarité qui s’initient un peu partout, soutien aux copains entrepreneurs qui veulent qu’on “like” leur page et celles de leurs propres amis pour les “rassurer” un peu face à l’angoisse grandissante sur le devenir de leur entreprise. Face à la dizaine de notifications que j’ai reçues pour aimer telle ou telle page, je me suis particulièrement sentie coupable de ne rien liker ou presque ou de n’avoir rejoint encore aucune cause, aucun mouvement, pire je n’avais pas particulièrement envie d’aimer les pages qu’on me demandait de soutenir. Au fond de mon esprit se bousculaient des idées confuses du genre : “pourquoi soutenir des pages, artisans que je ne connais ni d’Eve, ni d’Adam, et que je n’irais même pas voir en vrai pour leur acheter un service, un produit après le confinement”, voire même “pourquoi soutenir tel ou tel commerce puisque le produit qu’il propose, le service n’est pas “essentiel” à mes yeux”… Je n’arrivais pas bien à mettre des mots sur mon malaise. Sans identifier pourquoi ce sentiment de rejet ou de manque d’envie. Et puis plusieurs copines, dont celle qui m’a inspirée le titre de ce blog, ont mis des mots sur mon malaise. Cela ne faisait pas sens pour moi. CQFD. Le débat est clôt. Ne m’envoyez donc pas de demande pour aimer telle ou telle page. Si cela ne fait pas sens pour moi, je ne likerais pas. Même si j’apprécie humainement la personne qui est derrière cette demande ou cette page !

Autour de moi, plusieurs copines se démènent pour rassembler du matériel, pour fabriquer masques, sur-blouse. Elles font ça merveilleusement bien et je les admire profondément pour ça, je me pose encore la question de rejoindre le mouvement… Non pas que je pense ne pas avoir le temps et l’énergie, mais je me sens perdue. Je serais bien tentée de fabriquer des masques, mais ce serait pour le faire de manière bénévole, pas question que je gère des commandes, que je fasse payer quoi que ce soit pour la fabrication de ces masques, alors que j’ai de nombreuses copines/connaissances qui en fabriquent et dont c’est le métier et qui ne survivront pas à la crise si elles ne vendent pas un minimum de leurs créations. Donc je ne me vois pas me lancer là-dedans, de peur de leur faire concurrence. Ce joyeux mélange entre entre les masques fabriqués bénévolement et donnés par solidarité pour suppléer à la pénurie dans les milieux médicaux (par des petites entreprises ou des collectivités locales qui font appel au bénévolat) et des masques vendus, eux-même fabriqués par des petites ou grandes sociétés, cela n’aide clairement pas à ma réflexion et cela me paralyse un peu dans ma prise de décision. Pour le moment, j’ai décidé de ne coudre que des masques pour la famille. J’ai aussi surtout du mal à identifier autour de chez moi des structures qui auraient besoin de bénévoles pour autre chose : la distribution de repas au plus démunis ou pour d’autres missions ponctuelles. Je me suis bien inscrite sur une plate-forme pour du bénévolat et coups de main ponctuel mais aucune mission autour de chez moi qui rentre également dans ce que je me sens capable de donner. Et je crois que j’ai du mal à me l’avouer, mais j’ai peur de me laisser embarquer dans un engagement qui me demanderait trop de temps et trop d’énergie par rapport à ce que je pense être capable de donner tout en préservant un équilibre familial qui est primordial pour moi dans ces temps troublés, quitte à le regretter ensuite car cela m’est souvent arrivé par le passé. Je n’ai pas envie de m’éloigner trop longtemps de la maison chaque jour – même si cela me ferait sans doute beaucoup de bien ! Je culpabilise parce que je me dit que sur le papier, je serais capable de donner de mon temps et de mon énergie, mais je ne me sens pas l’élan de le faire. Et encore une fois, en réfléchissant et analysant le pourquoi profond: tout simplement parce que cela ne fait pas sens pour moi. Je n’ai pas une personnalité qui soit particulièrement tourné vers le “soin” aux autres, même si j’aimerais bien. Les copines dont je parle plus haut le font très bien et elles rayonnent quand elles font ça, parce que c’est tout bonnement leur zone de talent. Moi, c’est un mouvement qui me demande beaucoup d’énergie, et qui n’est pas naturel chez moi. Alors pourquoi se “forcer” à aller dans cette direction et aller contre nature ?!

Ma manière à moi d’éteindre un peu ma culpabilité au-dela ce cette question du sens, et c’est limite de la dissonance cognitive, je le reconnais… c’est que je respecte parfaitement le confinement, et que ne rien faire, ne faire prendre aucun risque à ma famille, c’est une belle façon de soutenir aussi le personnel soignant. Je me dit que j’essaie de faire le maximum pour que le confinement se passe au mieux pour nous en étant au maximum présente pour les enfants, et que cela fait sens pour moi. Je m’efforce de faire travailler les petits commerces de proximité qui souffrent et ce qui fait carrément sens par rapport à mes convictions personnelles. J’écris, je témoigne, je dessine et j’offre des dessins à colorier en espérant que cela aide chacun à traverser cette période de lire des mots, de dessiner. Tout ça résonne bien plus en moi. Je me dit que tout cela c’est pas rien et que c’est le mieux que je sois capable de faire pour le moment.

Ma place dans le monde d’après

Plus globalement, cette culpabilité de ne pas prendre part aux élans de solidarité autour de moi, me fait aussi poser la question de ma “place” dans la société d’après. Je me prépare à l’idée que peut-être mon entreprise ne pourra pas faire face durablement à la crise, que je me retrouverais au chômage à plus ou moins long terme. Si ce n’est pas le cas, tant mieux. Si c’est le cas, je me serais préparée. Mais si jamais je me retrouve sans emploi, qu’est-ce que j’ai envie d’apporter au monde d’Après ? De quoi la société aura besoin, et qu’ai-je envie de laisser comme empreinte dans ce monde d’après ? Cela rejoint les questionnements que nous avons avec Bruno depuis quelques mois, sur les choix que nous voulons faire à moyen terme pour notre famille. Bref, ça cogite grave.

Pour clôturer cette sixième semaine, je suis tombée sur l’intervention de Serge Hefez dans les médias ce dimanche soir qui répondait à une enfant qui demandait si après le confinement, elle pourrait “sauter” dans les bras de sa grand-mère. Et Serge Hefez de répondre “sans doute que non”, mais que le “toucher” qui nous manque tant en ce moment peut s’exprimer autrement. Car on peut “toucher” les gens autrement qu’avec les mains ; avec des créations, des textes, avec des chansons, des dessins, des petites attentions… Bref, cela a fait tilt chez moi, comme un écho à mon côté introvertie, à la fan d’Amélie Poulain que je suis, et à ma sensibilité vous imaginez bien !

Et devinez quoi ? En ce début de septième semaine de confinement, en découvrant le 10ème jeu d’écriture de l’atelier d’écriture de Coworkgreen, je me suis dit, tiens tiens, les planètes sont alignées ! Le jeu consiste justement à parler du Monde d’Après, de formuler des voeux dans une lettre destinée à des personnes âgées d’EPHAD pour mettre un peu de beauté, de lien dans leur vie, de les “toucher”. La boucle est bouclée. J’adore les synchronicités.

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