Journal d'un confinement,  Où cours-je ?

Jour 46. Rupture.

Rupture. nom féminin. (latin ruptura, du latin classique rumpere, briser). Fait, pour quelque chose, de se rompre, sous l’effet d’un effort excessif ou trop prolongé ou d’un choc.

Mauvaise journée, ce jeudi 30 avril. Elle est arrivée comme ça sans prévenir ou presque. Cela faisait quelques jours qu’elle attendait tapie dans un coin. Je ne voulais pas me l’avouer sans doute. Il y avait quelques signaux, mais il y a encore quelques heures j’envoyais des messages à qui voulait l’entendre “tout va bien”.

Alors que je trouvais que depuis le début du confinement nous nous étions bâtit un petit nid tranquille, doux et relativement joyeux, et apaisant, que l’on vivait plutôt bien ce confinement (ce qui n’est pas complètement faux au fond) j’ai eu l’impression tout au long de la journée que chaque chose qui se produisait était d’une violence inouïe. Le bruit d’une porte qui claque. Une enième râlerie de Gaspard, un cri strident de Camille qui se fâche après son frère, une énième négociation des enfants pour reporter, ou ne pas faire ce qui est convenu. Le bruit de mastications des enfants à table. Cette pluie si attendue depuis 6 semaines pour le jardin, qui arrive pile le jour où j’aurais besoin d’un grand soleil. L’absence de Bruno qui était de permanence dans les locaux de son entreprise. La phrase de Gaspard ” les devoirs c’est mieux avec papa”, la maladresse des enfants qui transforme deux verres en milles morceaux sur le carrelage de la cuisine alors que je suis pieds nus. Leur chamailleries durant le repas. Les larmes de Gaspard las de me voir prendre tout en pleine face et réagir de manière épidermique. Le ravitaillement au supermarché avec cette queue interminable et les gens qui ne respectent pas les deux mètres de distance en râlant. J’ai eu le sentiment d’avoir été agressée toute la journée par des choses sur lesquelles je n’arrivais à avoir aucune prise. Car plus j’exprimais mon besoin de douceur aux enfants, plus ils réagissaient en faisant tout l’inverse de ce dont j’avais besoin. Sans doute ai-je réagis trop tard et la violence de cette journée et la rupture si grande avec les journées précédentes les ont destabilisés et rendus incapables d’entendre mon besoin. Ce n’est pas tant la problématique de parentalité qui m’amène à écrire tout cela (même si c’est une sacré problématique, car pour qu’un enfant râleur ne détruise pas l’ambiance de toute une famille, il faut tenter de comprendre pourquoi, mettre en place les actions pour l’aider à changer, ce que nous échouons pour le moment à faire dans ce confinement, mais ce qui suit l’explique peut-être en partie)

Je crois que j’ai tenté coûte que coûte de rendre les choses agréables pour les enfants, mais j’ai sous-estimé mes propres besoins et ne les as pas suffisamment fait respecté tout au long des semaines faute de les formuler correctement. Et quand une maman n’est pas bien (surtout si c’est inconscient), cela n’aide pas les enfants à se sentir bien. Je n’ai notamment pas pris assez soin de mon besoin de douceur et mon besoin de m’écarter de toute forme de violence. En voulant transformer cette expérience du confinement en une expérience positive, joyeuse, optimiste, j’ai sans doute sous estimé le choc et la violence que représente tout cela ; et que je suis loin d’avoir digéré ce qui vient de nous tomber dessus depuis le début malgré mes séances d’écriture ici. Cette vidéo d’une responsable de la santé Espagnole qui craque m’a aussi bouleversée et mis la puce à l’oreille.

Ces derniers jours, dans un groupe whatsapp de proches; quelqu’un a partagé une interview d’un expert dénonçant violemment la gestion de la crise par nos gouvernements européens, ça m’a fait littéralement disjoncter. Mais depuis plusieurs jours je me suis vue être agacée par toute forme de critique sur la gestion de la crise. Je me suis aperçue combien toute la véhémence face à la gestion de crise vibrait négativement en moi. Je ressens en ce moment comme une profonde injustice de traiter nos gouvernements d’incapables avec une telle violence, quels que soient leur bord. Et pourtant je suis loin d’être d’accord avec toutes les mesures qu’ils prennent. Mais, bordel, ce sont des humains, comme nous, avec des failles, des zones d’ombres, des faiblesses, des croyances et des larmes aussi ! Mais tout ça n’est pas nouveau, je déteste toute sorte de conflit, en fait, cela prends une dimension encore plus prégnante avec cette crise et tout ce qui l’accompagne. Je me suis rappelée que ma personnalité sensible (hypersensible, peut-être ?) et optimiste avait besoin de lumière, de beauté, de positif, et de good vibes et d’Amour et d’Humanité.

J’ai réalisé que je m’étais laissée embarquer dans ma quête d’informations -même si je privilégiais déjà des médias peu partisans et qui ne font pas trop dans le sensationnalisme. Ma tentative de comprendre, de démêler ce qui se joue en ce moment dans notre société, mon cerveau qui fonctionne à mille à l’heure dans ces périodes-là, a occulté les besoin de mon coeur. C’est en lisant un billet de Pablo Servigne dans le magasine Yggdrasil sur sa réaction les premiers jours de la crise que j’ai pris conscience que j’étais en train de vivre presque la même chose. Je pensais maîtriser ma consommation de médias, mais c’était encore sans doute trop et surtout je ne les consommait pas pour les bonnes raisons. Pas en conscience. Sans écouter les petites voix en moi qui disait que ce n’était peut-être pas si nécessaire que ça de m’informer quotidiennement.

Les jours qui ont suivi le début du confinement, j’étais comme sidéré, boulimique d’informations, je me suis goinfré d’articles, de tribunes, d’analyses, de vidéos, je voulais tout savoir, tout analyser, tout comprendre… Nous vivons quand même un événement majeur et inédit, historique, peut-être une étape importante dans un possible effondrement systémique, alors je voulais en être ! Côté bouffe, ça s’est aussi ressenti : je me suis goinfré. Serait-ce la peur de manquer ? Ou alors la vue quotidienne de toute cette bonne nourriture stockée dans nos armoires ? Ou tout simplement la boulimie d’informations, je voulais tout, tout de suite, et vite !

Résultat, fin mars, j’ai saturé. Tout s’est embrouillé dans ma tête, trop d’infos, trop de sollicitations, trop de trucs à partager, trop de messages, trop de visioconférences, trop d’applis sur le téléphone, trop de tout… Alors j’ai fermé les écoutilles. Je me suis recroquevillé, tu sais, comme un hérisson, ou plutôt comme les petits cloportes qui se transforment en parfaites petites boules noires et brillantes dans l’humus de la forêt. J’ai ralenti, je me suis recentré, et j’ai jeûné.

Alors je ne vais pas me mettre à expérimenter le jeûne, maintenant alors, que j’ai besoin de douceur, et que la tension à la maison est encore palpable… Mais je vais sans doute jeûner en terme médiatique. Et ne lire que des choses feel good ou qui m’apporte de la douceur. A moi les romans feel good qui attendent patiemment dans ma liste à lire, à moi les dessins encore plus, à moi l’écriture bienfaisante et réparatrice. Si vous me cherchez je suis dans ma chambre au calme, dans mon hamac ou sur mon PC, en prenant soin de ne pas ouvrir aucun autre onglet que mon traitement de texte ou l’administration de ce blog, promis. A très vite. Avec des mots plus doux je l’espère.

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