Journal d'un confinement

Jour 45. Des voeux

Comme pour le poème dada, ce texte est le fruit d’un jeu proposé par ma copine Clara, créatrice de l’espace de coworking en milieu rural Coworkgreen. Elle a ouvert son atelier d’écriture qui se déroule normalement une fois par mois dans les locaux, à d’autres personnes durant le confinement. On échange des textes selon une thématique, selon notre inspiration.

Le dernier jeu est parti d’un très joli geste de ma copine Le Crapaud Charmant, qui a glissé dans l’un des sièges qu’elle était en train de refaire, un petit mot pour le prochain tapissier qui retravaillerait sur ces sièges, dans un avenir plus ou moins lointain. Elle y a écrit un voeux pour l’avenir. Cela m’a inspiré. J’en ai parlé à Clara, qui en a fait un jeu d’écriture, en partenariat avec un EPHAD du sud-Essonne.

La consigne était donc d’écrire une lettre à un résident, en formulant dans cette lettre un de nos voeux pour l’avenir. Voici la mienne.

Chère ancienne, ou cher ancien,

Ne pensez pas que sous ma plume, ce mot “ancien” soit péjoratif, au contraire, vous le comprendrez un peu plus loin dans ma lettre. Je ressens une infinie tendresse pour vous, et un profond respect.

Je m’appelle Claire, j’ai trente ans dans ma tête, et quelques années de plus sur ma carte d’identité. Je suis maman de deux enfants, une fille et un garçon dont je suis évidemment très fière et que je trouve les plus beaux du monde. Si vous avez vous-même des enfants, vous devez savoir ce dont je parle ! Je suis l’heureuse épouse d’un homme depuis quinze ans. Nous fêterons nos 20 ans de rencontre durant les derniers jours de ce confinement. Vingt ans, cela me paraît une éternité, et vous devez vous dire, que nous n’avons encore rien vu ! Nous sommes passés par des épreuves qui je crois, a renforcé notre complicité et notre Amour, et ce que nous traversons ensemble dans cette crise si particulière, est sans doute aussi un formidable ciment. En tout cas je l’espère, mais comme le dit l’adage “seul le temps nous le dira”.

C’est dans les difficultés que nous mesurons la force des liens entre les hommes, dans les familles. Ce lien qu’il nous est demandé de distendre avec nos parents et grands-parents pour les protéger. Certains essaient de le maintenir coûte que coûte en utilisant la technologie, celle-ci même qui vous est tellement peu familière et qui vous effraie parfois.

J’ai eu envie de vous écrire, quand j’ai entendu Serge Hefez, un psychiatre spécialisé de l’enfance l’autre jour à la télé. Il répondait à une petite fille à qui les câlins avec sa grand-mère manquait beaucoup, et il expliquait que même si nous étions privés du sens du “toucher” avec tous nos masques et toute la distanciation sociale que nous imposait le virus pour vous protéger, nous pouvions toucher quelqu’un de notre entourage de différentes façons. Alors sans pouvoir venir vous toucher (et cela m’arrange bien, car je dois vous confier que ne suis pas très tactile …), je me suis dit qu’une petite lettre pourrait apporter un peu de réconfort, de joie, de lumière dans vos longues journées. En tout cas je l’espère.

Je voulais partager un voeux que je fais pour l’avenir, pour le monde d’après. J’espère que nous redoublerons d’effort pour toucher les autres et nous laisser toucher, pas seulement physiquement, mais par le Beau, par l’Art, par la littérature, la poésie, la musique, par les petites attentions. J’espère que nous saurons laisser de la place à l’émerveillement dans nos vies. Que nous saurons être touchés et que nous saurons toucher les autres par les petites choses simples du quotidien, un merci, un bonjour, un sourire. Ces petites choses qui rendent le quotidien plus joyeux. Moi ce qui me touche c’est le Beau, sous toutes ses formes. Ce qui m’apporte de la joie chaque jour c’est Un joli mot, une jolie tournure de phrase, une belle couleur, une belle lumière, un bel oiseau, ou une belle musique.

J’espère aussi que nous n’oublierons pas combien votre situation en EPHAD, votre détresse parfois durant ce confinement nous a touchée. J’espère que nous saurons transformer toute cette tristesse en quelques chose de grand et de Beau.

Je me suis mise à imaginer des maisons de la transmission. Non pas de la transmission d’un virus. Ou bien si. Des maisons de la transmission d’un joli virus : celui de l’expérience. Votre expérience, votre savoir être, votre savoir-faire d’ancien, votre sagesse que nous avons sans doute un peu trop mis de côté, pensant qu’ils seraient devenus hors de propos dans cette société qui va si vite et qui oublie un peu trop souvent d’où elle vient, en pensant ainsi aller mieux de l’avant, plus vite.

J’imagine dans plusieurs années, ces maisons comme une joyeuse cohabitation d’anciens comme vous, et de petits nouveaux comme pourra l’être ma fille dans quelques années. Vous leurs apprendriez des choses simples oubliées par nos jeunes, mais essentielles, et que nous avons parfois échouer aussi à leur transmettre. Ils vous apprendraient à vous servir des nouvelles technologies, celles qui vous effraient parfois. Ils vous ferait écouter leurs idoles, et vous leur feriez lire vos plus beaux livres de chevet. Ils vous prépareraient des petits plats, et vous leur transmettriez vos savoirs-faire de jardinage, de tricot, et que sais-je encore… Ils vous raconteraient leurs amours déçues, et vous témoigneriez de ce qu’est l’Amour d’une vie. Sans doute quelques confidences coquines et rigolotes pourraient éclorent, le soir dans l’intimité d’une belle flambée dans la cheminée de la salle commune. Et les dimanches après-midi, vous taperiez le carton pour une partie de belote ou de tarot, dans des grands éclats de rire.

Des maisons du lien. Pour partager plus qu’un loyer et des mètres carré entre générations. Une communauté. Sans doute l’avons-nous aussi un peu oublié ce mot. Communauté. C’est un très beau mot. Communauté. Ne trouvez-vous pas ?

Des maisons de la transmission. N’est-ce pas plus joli que le mot EPHAD ?! Je déteste ce mot. Il n’est pas beau. Il ne touche pas. C’est un sigle administratif ni plus ni moins. Il ne dit rien de la somme d’expérience, de sagesse qui existe dans leurs murs. Et du respect que l’on vous doit, de nous avoir transmis ce monde, loin d’être parfait, il est vrai, mais plein de défis qui nous font grandir et qui rendent plus humain. Nous n’avons qu’une partie du mode d’emploi de ce monde là, l’autre partie c’est sans doute vous qui l’avez. Il ne faudrait pas que nous oublions de vous demander de nous la transmettre avant que vous partiez nous regarder de La-Haut nous dépatouiller avec tout ça !

Voilà mes voeux pour le monde d’Après. En espérant que cette lettre vous aura touchée autant qu’elle m’a provoqué d’émotions à l’écrire.

Affectueusement.

Claire

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