Journal d'un confinement,  Où cours-je ?

Et en même temps… [Confinement S02 – Ep02]

Nous y revoilà. Confinés pour quelques semaines de nouveau. On s’y attendait. On connait. On comprends facilement pourquoi les autorités ont pris cette décision. Il n’en reste pas moins que tout cela est vécu bien différemment par chacun.e qu’au printemps dernier.

Chez les Giraudet, nous avons vécu cette première semaine de confinement en étant en vase clôt ou quasiment, cela ressemblait vraiment à notre confinement du printemps. Comme j’ai attrapé la Covid, nous étions confinés quelques jours avant tout le monde. On a retrouvé nos repères, les repas à quatre midi et soir, l’énervement des enfants en fin d’après-midi, l’impression d’avoir des journées si longues et si courtes à la fois, des journées qui se suivent et se ressemblent. La perte de repères temporels. Seul l’activité professionnelle de Bruno, en télé-travail nous a permis de garder un semblant de rythme semaine/week-end.

Cette semaine a de nouveau été difficile pour moi point de vue émotionnel. Diminuée par les symptômes de la Covid, l’actualité si morose, et anxiogène avec le retour brutal du terrorisme sur notre territoire, la météo, rien n’était fait pour que cela puisse en être autrement je crois. Je me retrouve dans le même état qu’à la mi- confinement du mois de mars. Au printemps, les premières semaines, après la stupeur, j’avais réussi à trouver tout cela très positif dans l’ensemble et d’y voir des bénéfices pour moi, pour la famille, pour les enfants. Il y avait même, je me souviens, une certaine excitation à expérimenter ce confinement et ses effets sur la vie de famille. Mais après plusieurs semaines cela avait été plus dur, à cause de l’ambiance générale et des polémiques qui naissaient ici ou là, de la mauvaise vibration du monde.

Ce second confinement, je l’aborde directement de cette façon là. Plongée dans le bain de la morosité et du brouillard direct ! Je me sens divisée, partagée, avec des sentiments tellement mélangés, des émotions tellement contradictoires qu’il est difficile pour moi d’avoir les idées claires et d’essayer de tirer du positif de tout ça.

J’ai presque été déçue à l’annonce du reconfinement. J’aurais volontiers vécu un confinement comme au mois de mars. Je n’aime pas l’automne et l’entrée dans l’hiver, parce que les journées sont courtes, je suis souvent dans un mauvais mood et j’ai du mal à mobiliser mon énergie à cette période de l’année, je déteste le mois de décembre et la frénésie commerciale et familiale qui l’accompagne. Un confinement plus strict et plus long serait presque comme une hibernation et cela me conviendrait bien à moi d’hiberner. Mais par contre je ne me revois pas vivre enfermée 7j/7 avec les enfants.

Mais en même temps, je trouve que priver les petits commerçants, le milieu de la culture de poursuivre leurs activités, surtout à l’approche de Noël est une ineptie et une grave atteinte à ce qui fait lien dans la société, à ce qui fait de nous une société humaine et non animale, et permets de faire société.

Je suis évidemment plutôt soulagée et heureuse de voir les enfants continuer à aller à l’école, voir leurs copains, continuer à recevoir un enseignement, aussi imparfait soit-il. Je regrette même que les enfants ne puissent pas poursuivre leurs activités sportives et associatives, puisque les associations ont mis en place des protocoles sanitaires au moins aussi stricts qu’à l’école, et que les activités extra-scolaire sont pour moi aussi importantes que l’école pour l’équilibre d’un enfant.

Et en même temps je me dit que tout cela est quand même un joyeux bazar, et qu’au regard du nombre de personnes qui gravitent autour d’une école, il ne peut qu’y avoir un brassage du virus et que cela est bien dommage au regard du discours catastrophique des autorités et au regard de ce qui se passe dans les hôpitaux. Et en plus, j’ai peur pour mes enfants, peur pour les équipes enseignantes, peur du terrorisme qui a de nouveau frappé nos vies, qui a frappé un professeur de collège, une église. Rien qu’imaginer un drame arriver dans l’école de Gaspard, ou le collège de Camille me terrifie, j’ai des moments d’angoisse qui me prennent à la gorge. Et cela me soulagerait presque que l’école soit de nouveau à distance durant les prochains mois, histoire de faire redescendre la pression.

Je suis malgré tout assez d’accord avec ceux qui disent qu’on en fait trop sur la question de la prévention autour du virus, que les médias sont anxiogènes et qu’utiliser la peur et la culpabilisation de la population sont des procédés absolument pas sains à long terme pour une démocratie. Je suis presque à deux doigts d’adhérer à la thèse de la politique du chaos. Je me dit que peut-être nos biais cognitifs, les chiffres, et tout ce battage médiatique mets en lumière qu’une infime partie des données de cette épidémie et ne prends pas assez en compte la globalité de la réalité pour rassurer et pour analyser la situation, et qu’on ne communique pas intelligemment sur cette épidémie. Qu’on ne fait pas assez appel à l’intelligence collective et au bon sens.

Mais en même temps, connaissant plusieurs infirmières et personnels soignants, connaissant leurs craintes, parfois même leurs angoisses au sujet de cette épidémie, connaissant leur fatigue, leur combat depuis des années pour avoir davantage de moyens, je ne peut-être qu’empathique et penser que oui, rien que pour eux il est important de respecter les consignes des autorités et faire le plus possible pour leur éviter de vivre des situations terribles au sein de leurs services durant les prochaines semaines.

Je suis pour un confinement plus strict et en même temps, je serais je crois assez heureuse de sortir un peu pour aller au travail. Pas pour le travail en lui-même, mais pour quitter “géographiquement” mon domicile avec une autre raison que celle de faire des courses et le périmètre du kilomètre et puis pour voir du monde, et vivre le lien social dont on est privés dans les autres domaines que le professionnel. Mais en même temps, travailler, se démener pour produire sans avoir la certitude que le fruit du travail de l’équipe sera exposé et proposé aux clients faute de magasins ouverts, et de possibilité de vendre nos produits, à quoi bon ?! Et travailler en étant privée de tout le reste de ma Vie : mes amis, la vie culturelle et associative, cela me donne le sentiment d’être vraiment “exploitée” pour ce que j’apporte au capitalisme, je suis une force vive qui rapporte des taxes patronales et de la TVA par ma consommation et par ma productivité. Je nourris le système. Et je n’ai pas envie de nourrir le système de cette façon. Consommer de la culture, défendre les petits commerçants, faire vivre la collectivité autrement, oui ça fait sens pour moi. Bosser pour faire tourner la machine capitaliste, cela ne m’intéresse pas. Surtout que l’argent que je rapporte à l’état, il ne va même pas là où il faudrait qu’il aille d’après moi.

Je suis évidemment inquiète pour la situation économique du pays et de nos concitoyens et de mon entreprise. Souhaiter la pauvreté et l’effondrement de notre économie n’est quand même pas une idée si facile que ça à admettre.

Et en même temps, je me dit que peut-être est-ce la seule solution pour mettre à plat les choses et repartir sur de bonnes bases pour changer de paradigme et permettre une refonte de notre modèle capitaliste et patriarcal.

Je ressens très fortement cette dualité au fond de moi, qui me mets tellement mal à l’aise au milieu de ces gens qui semblent tous très bien savoir ce qu’il faudrait faire ou ne pas faire, au milieu de tous ces gens qui râlent parce que c’est trop ou pas assez, au milieu de tous ces gens qui ont un avis bien tranché sur la situation, j’ai le sentiment de ne pas réussir à me faire une opinion, je ne me sens ni complètement du clan de ceux qui crient au complot et à l’atteinte de nos libertés, ni complètement de ceux qui voudraient de nouveau complètement arrêter le pays et qui tapent verbalement sur ceux qui ne “respectent rien”.

Bref, plus qu’au printemps encore, je suis perdue, tiraillée par toutes ces contradictions en moi, entre toutes ses émotions désagréables, qui passent de la colère à la résignation, puis de la peur à la tristesse, le tout en un fragment de seconde et plusieurs fois dans la même journée. Sans réussir à trouver un truc positif dans tout ça…

L’impression que cette fois-ci on ne va se prendre dans la figure que les trucs les plus négatifs dans la tronche, et que je ne vais pas avoir cette occasion de trouver grâce au temps disponible l’énergie d’en extraire le meilleur, faute de temps pour comprendre, pour digérer les choses. Car oui, lundi je reprends le “auto-boulot-marmot-dodo” comme si de rien n’était… ou presque !

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