Etre soi-même,  Militer,  Où cours-je ?,  Réfléchir

Vous n’aurez pas ma haine !

C’est le titre du livre d’Antoine Leiris, qui a écrit un magnifique article puis un livre suite au meurtre de sa femme au Bataclan, dans la fusillade du 13 novembre 2015. Il s’adressait aux terroristes et grosso modo, disait qu’il était trop facile de tomber dans la haine, d’offrir cela aux terroristes, et que ne pas leur offrir cette rancoeur c’était faire preuve de résistance. Mais c’est aussi ce que m’inspire l’actualité…

Entre les événements aux Etats-Unis suite à l’homicide de Georges Floyd, les manifestations anti-violence policières ici en France et aux Etats-Unis, les événements à Dijon, les manifestations en soutien aux soignants qui tournent à l’affrontement, les images de cette infirmière qui s’en prends aux forces de l’ordre, cette histoire du livreur français qui est mort dans des circonstances proches de celles de la mort de Georges Floyd. Il y a mille raison d’avoir la haine, d’être en colère, de se monter les uns contre les autres. Comme si les médias cherchaient à attiser le feu de la division.

Moi dans tout ça, je n’arrête pas d’avoir le mot “Amour” qui me vient en tête comme une rengaine. Influence de mon éducation judéo-chrétienne sans doute. “Aime ton prochain comme toi-même” est sans doute un des messages le plus universel et qui devient un espèce de mantra pour moi ces derniers temps (faut-il encore s’aimer suffisamment soi-même). Je repense souvent aussi à Gandhi, à Martin Luther King en ce moment, à Rosa Parks, et à toutes ses femmes et ses hommes qui ont oeuvré pour davantage d’humanité dans nos sociétés. Sans dire que je retombe dans la Foi à fond les ballons, en tout cas, je réalise qu’une certaine forme de spiritualité, de recul, de sagesse , qu’ils incarnaient toutes et tous, est sans doute ce qui nous aidera à passer toutes ces épreuves.

Amour. Faites l’Amour pas la Guerre. Peace and Love. Non, vous ne me dresserez ni contre les gens qui n’ont pas ma couleur de peau, ni contre les forces de l’ordre, contre les gilets jaunes, contres les migrants. Vous n’aurez pas non plus ma joie de vivre, vous n’éteindrez pas ma conviction que l’Amour (au sens très large) est plus fort que tout, qu’il peut résoudre beaucoup de choses et qu’il devrait être ce qui nous guide au quotidien plutôt que la haine, la colère.

Je crois profondément que face aux enjeux qui nous attendent dans les prochaines années, les prochains mois, la tolérance, l’écoute, le soin, la bienveillance, l’empathie, la reconnaissance de la vulnérabilité de l’autre, de sa propre vulnérabilité, de la vulnérabilité de la Planète Terre sont les uniques solutions. La vie de l’autre compte autant que la mienne. Si je m’apprécie et me respecte un minimum, je me dois d’apprécier de la même manière l’être vivant en face de moi : la personne qui n’a pas la même couleur de peau que moi, le vieux, le jeune, le flic, le médecin, l’animal, la plante, l’insecte, celui qui a peur du Coronavirus, tout comme celui qui a une attitude plus légère… Mais notre modèle patriarcal, basé sur la croissance, la puissance, dont le modèle dominant était celui qui écraserait tous les autres à son profit personnel est définitivement à rayer de nos livres de chevets, nos séries, de notre imaginaire collectif. Sinon nous ne nous en sortirons pas vivants. Et cela rejoint je crois les combats féministes. Pour moi le féminisme n’est pas tant une question d’égalité, qu’une question de place du “féminin” dans notre société. Si dans nos sociétés, le patriarcat – le masculin donc- est représenté par la toute-puissance, la domination, la croissance, quelle est la place du féminin ? Quelle est la place de la douceur (mais aussi peut-être de la puissance de la douceur) de l’accueil, de la fertilité, du “soin”, du réconfort, de l’Amour, de la Bienveillance toutes ces qualités qui sont socialement attribuées au féminin. (Mais je pense qu’il me faudra écrire un autre billet pour développer cette idée et ces questions…)

Depuis ces images de l’interpellation d’une infirmière insultant la police cette question me taraude : Comment une infirmière (vous aurez remarqué que l’on parle rarement des infirmiers, car la profession est très majoritairement féminisée), qui normalement prends soin des autres en vient à jeter des pierres et à insulter les forces de l’ordre ? Comment quand on a pour vocation de prendre soin de l’autre, on en devient violent ?! Et comment un policier, un gendarme qui normalement, a choisi cette profession pour participer à un monde plus juste et plus sur, en vient à commettre des injustices et à créer plus d’insécurité encore ? La colère, la rage et la violence seraient-ils devenus les seuls recours, les derniers retranchements dans lesquels un certain nombre de personnes dans ce pays se retrouvent coincés, acculés ?! Je le crois. Ce n’est pas tant leur violence qui m’inquiète, car je la comprends. Je l’ai ressentie tellement profondément ces dernières semaines parfois, que je la comprends parfaitement, même si elle n’excuse absolument pas l’irrespect et les actions qui en découlent. J’en ai expérimenté le mécanisme, l’émotion, la sensation qui déclenche la rage et la colère : se sentir coincé, non respecté dans ses besoins, n’ayant pas le choix. Peut-être est-ce que c’est ça qui a poussé cette infirmière à jeter des pierres et des insultes au visage des forces de l’ordre ? Sans doute. C’est ça qui m’inquiète : c’est ce qui a amené une infirmière à devenir violente, c’est ce qui amène les policiers à prendre le pouvoir par la violence sur autrui sans le respecter dans son intégrité et dans son identité : le système qui est en train de perdre toute humanité, au profit … du profit !

Nos soignants n’ont pas eu le choix. Malgré la situation déjà bien dramatique dans les hôpitaux avant le Covid, ils n’ont pas eu le choix. Ils ont tenu bons, ils ont soignés, autant que possible, aussi bien que possible, se démenant pour trouver, créer des lits de réanimation, pour réorganiser leurs services, leurs équipes, ils ont bousculé leur quotidien, se sont isolés de leur famille, sans que personne ne leur demande quoi que ce soit. Juste par conviction personnelle, par conscience des enjeux, des décisions personnelles qui n’ont été rien d’autre que le fruit de leur libre-arbitre. Ils ont même renoncé parfois à vivre sous le même toits que leurs jeunes enfants, à les prendre dans leur bras dans une période où les enfants avaient tellement besoin de leur parents. Ils ont mis leur vie personnelle entre parenthèse, ils ont oublié leurs propres besoins, de reconnaissance, de repos… Ils n’ont pas réfléchis : ils l’ont fait. Et ils ont tenus. Mais à quel prix ? Maintenant, ils réclament des comptes, ils demandent à être reconnus à leur juste valeur. Normal. Légitime.

Et les pauvres forces de l’ordre incarnent tellement l’image du pouvoir dans la population, qu’ils cristallisent toute la violence, toute la colère du “peuple”. Alors qu’eux-même sont coincés, victimes du système. J’ai adoré voir ces images des CRS qui posent matraques, casques et applaudissent les soignants lors de leur dernière manifestation. Vous n’aurez pas leur haine à eux non plus ! Et ça fait du bien de voir ça. Voilà qui réconcilie un peu avec la profession. Non, tous les flics ne sont pas pourris et ne sont pas des brutes violentes sans humanité.

16 juin 2020 – Manifestation pour les soignants / Nîmes

Et si toutes les colères de notre pays étaient le symbole d’un sentiment général dans la population, celui de se sentir piégée ?

Piégée dans un système qui oublie que prendre soin de l’humain, qu’en respecter les besoins, que le rendre autonome dans ses choix et dans son trajectoire de vie, et que lui donner les clés pour entretenir son libre-arbitre, lui reconnaître sa valeur, c’est s’assurer une démocratie en bonne santé. Piégée entre le besoin de se sentir en sécurité , prise en charge par l’Etat pour un certain nombre d’aspect de notre vie et le besoin de liberté si important dans notre pays qu’il s’inscrit aux frontons de nos mairies. Piégée dans ses propres paradoxes, qui rend toute décision politique source de polémiques. Piégée par ce modèle capitaliste, patriarcal, ou la toute-puissance prime sur tout autre modèle de relation inter-vivant. Alors qu’il est profondément injuste car il y a toujours un perdant. CQFD. La boucle est bouclée.

La colère relève souvent de ce sentiment d’injustice, de non-choix, de ne pas se sentir reconnu. Et j’ai le sentiment que notre système capitaliste, patriarcal, ou la toute-puissance et la croissance sont les seuls modèles de “réussite” tolérés, est arrivé au bout de ce qu’il pouvait apporter à une société. Il provoque de plus en plus d’injustice, les citoyens se retrouvent de plus en plus coincés dans leurs choix de vie uniquement pour une question de subsistance, et ils n’ont plus le choix. Ils ne se sentent pas reconnus à leur juste valeur.

Il est temps de redonner de l’espoir, de montrer qu’un autre chemin est possible.

J’espère juste que celui ou celle qui décidera de le clamer haut et fort ne se réclamera pas nationaliste, populiste ou pire encore totalitariste.

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