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Comme un poids en moins

Et soudain à la page quatre vingt-trois du livre Multipotentiels de Frédérique Genicot, qui m’est tombé dessus “par hasard” (ah bon le hasard existe vraiment ?!) dans les rayons d’un grand magasin culturel, je me suis effondrée en pleurs.

C’est lors de la lecture de cette page quatre vingt-trois, que tout à coup la prise de conscience rapidement verbalisée dans le cabinet de ma psy quelques jours plus tôt, s’est incarnée émotionnellement dans un torrent de larmes venant de quelques part du fond de mes tripes, comme si elles étaient là depuis très longtemps cherchant en vain l’issue pour sortir. J’ai toujours vu ma vie professionnelle non-linéaire comme une somme d’échec et que c’est violent, lourd et toxique de porter en soi l’échec comme cela depuis presque vingt ans – surtout quand c’est inconscient. Mais non, changer de métier tous les deux/trois ans avoir de multiples centres d’intérêts, s’ennuyer aussi vite qu’on se passionne pour un domaine et l’envie incessante d’explorer n’est pas un dysfonctionnement ou quelque chose à corriger absolument ou une preuve que l’on est moins bon que les autres. C’est une somme d’expériences, plus ou moins alignées avec qui l’on est, mais pas une somme d’échec !

Ce que je prenais pour de l’inconstance, un manque de persévérance et ce que je pensais devoir réussir à corriger à tout prix n’est autre qu’un mode de fonctionnement propre à certaines personnes – les multipotentiels – dont il semble que je fasse partie. Je m’intéresse à ce sujet depuis quelques temps, et connaissant l’effet Barnum (définition de notre ami Wiki : biais cognitif induisant toute personne à accepter une vague description de la personnalité comme s’appliquant spécifiquement à elle-même) je me méfiais de mon esprit qui me soufflait à l’oreille “mais si c’est tout toi, tout ça” et refusais de voir la réalité en face, bien aidée par le syndrome de l’imposteur dont souffre aussi beaucoup les multipotentiels. Sauf qu’avec ce torrent de larme et cette prise de conscience que j’assimilais mon parcours professionnel à une série d’échec, à des tentatives avortées de trouver ma voie, j’ai réalisé combien jusque là je souffrais de ce mode de fonctionnement, en tout cas qu’il était pour l’instant un handicap, et qu’il était peut-être temps de s’y intéresser de près pour essayer d’en faire un atout, un avantage, une particularité dont je pourrais habilement tirer partie pour le reste de ma vie professionnelle et que définitivement je ne pouvais plus renier être de ceux-là qui ont un profil de couteau-suisse.

Depuis cette page quatre vingt-trois, je me sens tellement plus légère. De toutes les larmes qui ont coulé ces dernières heures (et années) mais aussi de cette injonction à trouver ma voie et enfin de ce sentiment d’échec sourd et profond qui m’accompagnait depuis longtemps et que je laisse aujourd’hui volontiers derrière moi.

Vous commencez à connaître mes interrogations professionnelles, pour ceux qui ont suivi mes aventures professionnelles ces six dernières années, vous avez connu N’Hirondelle, puis Jaune Hirondelle, la fin de mon aventure entrepreneuriale, pour un retour au salariat, qui vient de se terminer. A chaque fois quand la décision de passer à autre chose devenait évidente, je me raisonnais : au moins j’aurais essayé. Mais en fait non. Je n’ai pas fait qu’essayer. J’ai appris, je me suis amusée, j’ai apporté de la valeur à des gens, j’ai grandit, j’ai nourrit ma curiosité et ma créativité. J’ai ajouté des compétences à ma besace d’exploratrice.

A l’occasion de ce cycle qui se termine, j’ai commencé il y a quelques jours à retravailler mon CV et à relire mon parcours. J’ai réalisé que depuis que je suis sur le marché du travail, j’ai au mieux passer deux ans et demi dans chaque poste avant de me lasser et d’avoir envie de changer. La première année dans une nouvelle activité, c’est la lune de miel, j’apprends, je découvre, j’essaie de comprendre le fonctionnement, les rouages du métier, ses difficultés et ses joies, j’y mets ma patte et je surfe ensuite pendant quelques mois sur cette vague qui s’appelle zone de confort, zone d’excellence même, profitant de mon expérience toute neuve pour me sentir bien, compétente, en pleine possession de mes moyens. Mais très vite, au bout d’un an et demi environ, l’ennui pointe son nez, la déprime n’est plus très loin si je n’agis pas rapidement pour rebondir, amener de la variété, créer de nouveau quelque chose, ajouter une nouvelle compétence à mon bagage, c’est fatal ! Il m’a fallu un bore-out dans mon dernier emploi pour me rappeler combien la phrase “si vous pensez que l’aventure est dangereuse, essayez la routine elle est mortelle !” est criante de vérité en ce qui me concerne.

Le soucis c’est qu’à chaque fois qu’une envie de changement professionnel se pointait sur mon chemin il s’accompagnait irrémédiablement d’un sentiment d’échec : celui de ne pas avoir encore une fois trouvé ma vocation, de ne pas réussir comme les autres, comme les copines et connaissances autour de moi à m’épanouir dans une seule activité plus de deux ans.

Ah qu’elles sont violentes les croyances et les comparaisons qu’on s’impose, issues d’un modèle social, d’une éducation, d’une norme qu’on nous a demandé de suivre depuis tout petit. La voie royale : un beau diplôme, une belle expertise et roule ma poule pour des dizaines d’années ! Au pire, tu changeras de boîte, et ta motivation retrouvera des couleurs ! Sans oublier tous les “influenceurs” dans le domaine de la gestion de carrière, du coaching qui parlent de trouver sa voie et qui te font croire à travers leurs messages que la réussite professionnelle ne passe que par ce Saint-Graal : trouver sa vocation avec cette promesse qu’après tout sera plus facile, évident !

Mais quelle image peut-on avoir de soi quand on a démarré sa vie professionnelle par des études choisies un peu par hasard parce qu’on ne savait pas trop quelle direction prendre. Quoi penser quand changer de boîte, de poste ne suffit pas pour renouveler l’intérêt et la motivation ? A quoi te raccrocher, à quel modèle de réussite s’identifier quand ta nature est d’explorer ? De t’intéresser à de multiples choses et de passer à autre chose dès que tu as compris, maitrisé un sujet ! Car il s’agit bien de cela : quel est le modèle de réussite des multipotentiels, ces touches à tout, ces profils généralistes alors que les modèles de carrière les plus courant proposent plutôt un profil de spécialiste, dont l’expertise s’affine avec les années ?

J’ai revu ces jours-ci la vidéo du TED X d’Emilie Wapnick, elle-même multipotentielle, qui a été vue des millions de fois sur You Tube. Et qu’est-ce que cette vidéo m’a fait du bien !

Voilà donc de quoi alimenter ma réflexion pour la suite de mes aventures professionnelles… mais avec plus de légèreté dans le coeur et dans l’esprit. Comme une autorisation soudaine et intérieure à explorer, à faire peut-être plusieurs choses à la fois ! Mais avec cette certitude acquise grâce à ces derniers mois : l’autonomie, la liberté sont des valeurs fondamentales pour moi, elles sont non-négociables. Il va falloir que j’apprenne à composer avec ça et tout ce que cela implique !

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