Journal d'un confinement,  Où cours-je ?

J’étais pas prête…

Cela part d’un trait d’humour que j’ai vu passé sur les réseaux, à propos de la reprise du lundi matin, ou de la rentrée après les vacances. “On peut recommencer le week-end/les vacances/2020 (rayez les mentions inutiles) je n’étais pas prête. Mais en fait le sentiment qui m’étreint en ce moment. Le trait d’humour traduit exactement mon état d’esprit – bien réel- en cette rentrée !

J’étais pas prête à vivre ce genre de crise mondiale. De vivre cette peur générée par cette pandémie mondiale. De voir nos hommes politiques ne plus savoir comment prendre le truc, et se dépêtrer dans leurs contradictions. Je n’étais pas non plus prête à voir la communauté scientifique se montrer si démunie, si frileuse et si divisée.

Je n’étais pas prête pour les masques, pour la distanciation physique, pour les gel hydroalcoolique à l’entrée des magasins, des écoles, des bureaux, dans nos voitures, nos sacs, dans chaque entrée de maison.

Je n’étais pas prête à vivre trois mois non stop avec mes enfants à la maison. Je n’étais pas prête à faire l’école à la maison, je n’étais pas prête à vivre mon trente huitième anniversaire pendue aux lèvres de notre cher président, pour savoir à quelle sauce nous allions être mangés.

Je n’étais pas prête pour la queue devant les magasins, je n’étais pas prête pour les rayons vides, et la panique qui s’empare des gens. Je n’étais pas prête à rentrer de courses en disant à mon homme “j’ai pas pris tel ou tel produit, il y en avait plus”.

Je n’étais pas prête à avoir peur pour mon poste salarié, alors même que je n’avais pas un an de boîte. Je n’étais pas prête à m’inquiéter pour mes patrons et à espérer en même temps que l’entreprise se casse la figure, pour prolonger ce temps suspendu. J’étais pas prête à vivre des montagnes russes émotionnelles pareilles.

Je n’étais pas prête à me demander s’il fallait ou non que je remette mes enfants à l’école. Et je n’étais pas prête non plus à les remettre à l’école avec des enseignants masqués, des zones délimitées dans la cour pour jouer, avec leurs affaires scolaires dans un sac plastique sans cartable.

Je n’étais pas prête à rentrer dans des musées, des châteaux, des églises avec des masques, et vivre une partie de nos vacances avec un masque prêt à être plaqué sur le visage en fonction des circonstances et des endroits fréquentés.

Je n’étais pas prête à des retrouvailles familiales où l’on ne peut pas se prendre dans les bras… J’étais pas prête à me priver de cet élan de tendresse vers ceux que j’aime.

J’étais pas prête à reprendre le boulot masquée 7h par jour, en faisant un boulot physique et en devant communiquer avec mes collègues en forçant sur la voix. J’étais pas prête à faire passer des entretiens de recrutement sans voir l’expression du visage des candidats. J’étais pas prête à transmettre, à parler des associations que j’apprécie à travers un masque, à devoir forcer la voix et les expressions faciales pour essayer de faire passer un truc et d’attirer à nous des nouveaux adhérents.

J’étais pas prête à rentrer épuisée après chaque journée de boulot, terrassée par cette sensation d’étouffement et par ces douleurs derrière les oreilles ou derrière la tête. Pas prête à devoir nettoyer à la javel ma table de repas après ma pause dej. Pas prête à devoir manger à deux mètres de mes collègues, par binôme de deux pour ne pas être trop nombreux autour de la table en même temps.

J’étais pas prête non plus à retrouver une boîte en plein essor – quel contraste par rapport à la situation économique – à mon retour de vacances. Pas prête à devoir encadrer une équipe qui grandit trop vite, pas prête à changer d’environnement de travail, de local et de méthode de travail. Pas prête à me sentir de nouveau stressée comme cela par ma vie professionnelle, moi qui m’étais félicitée d’avoir trouvé une boîte où je n’aurais plus à prendre aucune décision contrairement à mon statut d’auto-entrepreneur tout en participant à la faire grandir.

J’étais pas prête à redouter la réaction de l’équipe enseignante et des autres parents si je choisissais de mettre mon fils à l’école à cause d’un petit rhume dans ce contexte. Pas prête à lui faire porter un masque par précaution pour son activité sportive, le temps d’avoir un rdv chez le médecin. Pas prête à consulter pour une petite laryngite… ni à m’entendre dire qu’il faudrait mieux le garder à la maison le temps de la disparition des symptômes. Pas prête à demander à mes employeurs de rester à la maison parce que mon fils a juste un rhume.

J’étais pas prête à voir autour de moi des proches se mettre en quatorzaine et être testés positifs. Pas prête à faire des fêtes en visio avec les amis pour fêter les anniversaires…

Pas prête à reprendre un tel rythme, de dingue. Pas prête à devoir de nouveau partager mon temps entre être une maman, être une collaboratrice, une bénévole, une épouse et être moi … en essayant de n’en laisser aucune au bord de la route car je suis toutes ces femmes là.

J’étais pas prête à tout ça. J’ai le sentiment d’avoir pris très régulièrement des claques dans la tronche depuis le mois de février. Et après la douceur des vacances, la rentrée a été vraiment rude et difficile à vivre. Je crois que c’est la rentrée la plus violente que j’ai connue. Je l’appréhendais un peu, mais je n’imaginais pas à quel point le retour à la réalité serait aussi violent pour moi.

En juin, au moment du semblant de reprise, on retrouvait un semblant de “normalité” et la fin d’année était proche. Tout ça était bien plus supportable avec la perspective de l’été. Mais la perspective de cet automne/hiver est elle bien différente.

J’ai cette impression sourde, cette intuition que j’aimerais ne pas avoir, ne pas connaître, que j’aimerais n’avoir jamais identifiée, que l’on ne pourra jamais plus respirer normalement, sereinement, au propre comme au figuré. Qu’il va falloir si ce n’est pas être masqué, retenir sa respiration tout au long des prochains mois, cette impression sourde que c’est loin d’être fini toute cette histoire, et que si le Covid disparaît bien de la surface de la Terre (et toutes les mesures qui vont avec), il n’est que l’annonceur d’autres crises majeures, sanitaires, sociales, … mais qu’on en a pas fini avec ce cycle pourri dans lequel on est entré depuis plusieurs mois déjà, sans doute même deux ans avec les gilets jaunes. Pour une fois j’aimerais tellement que mon intuition se trompe sur toute la ligne !

J’ai cette envie tapie au plus profond de moi qui se fait de plus en plus pressante de tout plaquer et de partir loin. Si ce n’est pas géographiquement à des milliers de kilomètre, je voudrais au moins que ce soit à des années lumières de ce qu’on vit ici dans une region où nous sommes les uns sur les autres. Partir loin de tout ça : partir au vert, respirer vraiment… privilège de catégorie professionnelle et sociale supérieure oui. Et justement pourquoi s’en priverait-on ?!

En attendant, je fais défiler les photos de nos vacances de cet été, et je me remémorre ces doux moments. Et je demande d’une petite voix à l’univers qui ne pourra pas faire grand chose… dis, est-ce qu’on pourrait recommencer les vacances… Je n’étais pas prête !

2 Comments

  • Clara

    Je partage quasiment chacun de tes sentiments, pour moi aussi cette rentrée est l’une des plus difficiles de mon existence. Perdre des principes essentiels de vie, devoir projeter l’avenir sans véritablement pouvoir le faire, avoir le sentiment de ne rien maîtriser et de courir quand même… Et pourtant j’ai été élevée dans une famille écolo-collapso, où l’avenir n’était pas décrit comme radieux. J’ai quand même confiance en notre solidarité, je crois que nous allons redécouvrir le sens de ce mot !

    • Claire

      Et ce soir, réunion à moitié en présentiel et à moitié en visio pour une association. La connexion est mauvaise, on entend rien, des voix de robots, la réunion qui devait démarrer à 20h30, n’a toujours pas démarrée à 21h06… Je laisse tomber ! Quand retrouveras t-on une vraie vie sociale, avec du lien, du vrai de l’authentique, avec des vrais sourires non masqués, des vrais conversation non coupées par les problèmes techniques et les mauvaises connexions ? Quand retrouveras t-on le plaisir de se prendre dans les bras, de s’embrasser, de ne plus regarder l’autre comme un potentiel cas contaminant, de ne plus regarder l’autre comme un danger potentiel ? La société individualiste est en train de vivre une apogée morbide ! Ral le bol !

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