Journal d'un confinement,  Où cours-je ?

Semaine 5. Le Monde d’Après

Le monde d’après. Cette expression reprise à toutes les sauces en ce moment dans les médias depuis la dernière intervention du président à la télévision reflète bien les inquiétudes des français et la mienne, même si je sais que je ne contrôle pas de quoi demain sera fait… J’ai quelques appréhensions sur la marche du monde et sur son impact dans mon quotidien.

Ce qui m’inquiète le plus sur le monde “d’après”, au-delà des questions économiques et environnementales, c’est les mesures barrière, la distance sociale, et le sentiment de danger qui va devenir notre quotidien pour plusieurs mois encore sans doute. Depuis quelques temps, j’ai envie d’écrire sur ce que la distanciation sociale provoque chez moi. Éviter les gens, respecter une certaine distance, et puis la multiplication des masques sur les visages. J’ai beau être introvertie et ne pas spécialement rechercher et apprécier le contact physique rapproché avec les gens (le toucher et la bise notamment, qui pour le coup sont des gestes barrière dont j’apprécie la mise en place car ils m’évitent ce contact avec les gens avec qui je ne suis pas intime…), cette distanciation sociale, que je préfère appeler distanciation physique me mets mal à l’aise. Comme si l’autre devenait un danger. Comme si je devais me méfier de ce qui était étranger à moi. Frôler les gens dans la rue, échanger un sourire, cela me manque. Vraiment. Je ne me l’explique pas. Je ne cherche pas particulièrement ce contact d’habitude et je pensais que l’absence de contact ne me pèserait absolument pas. Mais je crois que l’Homme est profondément un animal qui se “nourrit” aussi de ce contact social.

La chaleur d’une conversation à distance n’est pas la même. Et j’ai beau me dire que cela n’enlève rien aux bonnes intentions, il y a toujours cette suspicion ambiante et cette crainte “et si l’autre était porteur et me contaminait ?”. J’ai d’ailleurs souvent le sentiment que les gens me voyait comme cela quand je ne portais pas de masque. Cela me provoque à chaque fois un sentiment très désagréable. Je n’aime pas être suspicieuse et ce virus m’impose cette posture de suspicion, de prudence “au-cas où”. Je déteste être dans cette position de crainte. J’ai toujours été plutôt du côté du verre à moitié plein, faisait plutôt a priori confiance de premier abord, quitte à revoir mon jugement ensuite. Avoir cette première impression de “danger” en croisant quelqu’un n’est absolument pas confortable et naturel pour moi. Je déteste m’onserver dévier ma trajectoire en croisant quelqu’un dans la rue, je me suis vue changer de trottoir aussi pour croiser quelqu’un en toute sécurité. Cela ne me ressemble tellement pas.

Quand je croise quelqu’un dans la rue, j’essaie toujours d’imaginer ce qu’il peut penser au moment où nous nous frôlons. J’aime imaginer ses préoccupations. Comme si ce croisement, ce frôlement me permettait de “toucher du doigt” les pensées, qui comme une aura, flotteraient autour de la personne que je croise. J’ai le sentiment parfois de ressentir ce que la personne ressent au moment où je la croise.

Je fonctionne au ressenti dans ma vie. Je suis faites comme ça. Je ressens les choses très souvent sans les verbaliser. Cette distance sociale imposée par les gestes barrières, me coupe d’un certain nombre de ressentis. La chaleur ou la distance de la personne, son énergie en face de moi, son état d’esprit et ses expressions faciales qui en disent souvent beaucoup plus que ce qu’elle pourra me dire verbalement. En étant physiquement à plus d’un mètre d’une personne, je ne ressens plus tout cela. Avec un masque de protection, difficile de s’imprégner du non verbal. Seuls les yeux peuvent en dire un peu sur l’état d’esprit de mon interlocuteur, et encore. Les yeux sans la bouche, ou sans le bas du visage c’est se couper de la moitié de l’information. Je ne dit pas que je sais parfaitement interpréter des signaux non verbaux d’un visage, car je ne traduis pas littéralement ce que pense la personne avec ses expressions, mais en fait c’est complètement inconscient, je ne sais pas vraiment comme l’expliquer. C’est de l’ordre du ressenti. Un visage fermé ou un visage ouvert invite à avoir des réactions différentes. Et en fait, dans ce monde de distanciation sociale, je me sens perdue, sans aucun repère, comme si j’avais perdu mon GPS, et mon dictionnaire “social” et je ne sais pas comment réagir, mon intuition relationnelle est sans repère, fonctionne à l’aveugle. Cela me perturbe beaucoup. On perd complètement cette chaleur humaine qui est composée de tout ce non-verbal, de ces gestes, de cette proximité.

A cela s’ajoute mon envie irrépressible de faire preuve de gentillesse en ce moment, pour rassurer, pour faire preuve de chaleur humaine justement. D’habitude ce sont les interactions avec les autres personnes qui me permettent d’être suffisamment en confiance pour laisser ma gentillesse s’exprimer. Si je ne reçois pas suffisamment de signaux m’y invitant, je garde pour moi le bon mot, le sourire, le “merci” que j’aurais eu envie de donner, mais qui – à mes yeux – m’exposerait de trop si en face, il n’était pas reçu à sa juste valeur. Vive l’introversion ! Alors imaginez la tension en moi en ce moment, ce feu rouge qui s’allume sans cesse inconsciemment dans ma tête et qui me dit “tu ne sais pas comment cela va être reçu, laisse tomber” alors qu’au contraire, je crois que le monde a besoin, plus que jamais de gentillesse, de chaleur humaine et d’Amour.

A vrai dire, j’ai peur que toute cette crainte, ce sentiment de danger que les circonstances installent dans le Monde ne viennent à détruire petit à petit toute cette solidarité, cet Amour et cette chaleur humaine qui s’est réinventée au fil des semaines. J’ai peur que repris par notre quotidien, par la marche économique du monde, nous oublions tout cela et qu’il ne nous reste que les masques, la distanciation sociale, l’isolement, la peur de l’autre. Je suis assez heureuse de voir que le gouvernement a assoupli les règles pour les visites à nos aînés… Mais la multiplication des appels de dénoncitation de non-respect du confinement aux autorités me fait craindre une transformation profonde de notre société en repli sur soi. Saurons-nous entretenir cette solidarité et ces élans fraternels durant toute la durée de la “crise” ?!

J’ai également remarqué un autre truc qui me manquait durant cette seconde semaine de vacances, contrairement à la première où j’ai réussi à me satisfaire de passer ce temps de “repos” chez nous, j’ai ressenti le besoin, l’envie d’être “ailleurs”. De voir autre chose que mon jardin, mes petits commerçants, et les mêmes visages. Envie de rouler plus que quelques kilomètres en voiture. “Avant”, je me surprenais souvent dans mes trajets quotidiens à imaginer que je plaquais tout, là de suite pour partir à l’aveuglette, un peu au hasard, rouler longtemps et m’arrêter quand l’envie m’en prendrait, aller voir la mer notamment, ou une personne de mon entourage qui habite loin pour lui faire la surprise. Mais là, je me suis surprise cette semaine au volant de ma voiture à imaginer que je plantait tout, juste pour faire la dizaine de kilomètre qui me séparent du boulot ! Whaouh, dingue, non ? Avoir juste envie de faire dix kilomètres et de refaire ce trajet qui était mon quotidien “avant”. C’est drôle tout de même, comment peut se rétrécir notre horizon quand on est enfermé. Notre “ailleurs” devient moins vaste quand notre espace quotidien est restreint. J’imagine les personnes incarcérées qui rêvent juste déjà d’être chez elle. Ce sera cela notre monde d’après ? Se contenter d’un ailleurs à dix kilomètres de chez soi. En même temps, c’est la soif du voyage, la croissance de cette économie du loisirs qui nous a habitué à partir toujours plus loin… Et si justement cette crise nous réapprenait à nous contenter d’un ailleurs pas si loin ! Nous n’étions déjà pas des grands voyageurs à l’étranger, et côté voyage en avion, nous sommes loin de collectionner des milliers de miles !

Bon en vrai, le confinement et la récente émission “Nos Terres Inconnues” sur l’île d’Ouessant m’ont bien donné envie de bord de mer, d’embrun, de rochers frappés par les vagues et l’écume… Mais je sais que rien n’est vraiment planifiable pour le moment. Pourtant le mois d’avril est d’habitude le moment où nous commençons à penser à nos vacances d’été. Nous aimerions bien programmer des choses, réserver, regarder, organiser. Mais la crise sanitaire nous impose encore une fois d’attendre. Sans doute que ces vacances d’été serons un peu spéciales. Réservées à la dernière minute, et sans doute pas tout à fait comme on les avait imaginées. Je crois aussi que cette crise va nous apprendre à nous, mais aussi à beaucoup de français à ne pas trop planifier à l’avance les choses. Je sais que pour certains se sera un exercice difficile. Moi ne pas savoir où je vais aller en vacances, même 15 jours avant, cela ne me dérange pas. Mais je sais que pour certaines de mes connaissances, programmer des vacances et leurs prochaines destination longtemps à l’avance, c’est ce qui leur donne de l’énergie pour vivre au quotidien. Je crois que le virus est vraiment en train de nous apprendre le lâcher-prise. Comme si notre besoin incessant de contrôle était le mal de notre société, et que le Corona était un formidable antidote contre cela.

Wait and see. En fait c’est mon credo depuis le début de la crise. Il faisait déjà parti de notre bibliothèque de credo dans la famille, mais il n’est plus que jamais utile et répété en boucle dans nos têtes. Ici, on s’y habitue, on embrasse cette posture. On apprends à ne pas prévoir, en tout cas rien qui ne dépendent pas à 100% de nous.

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