Journal d'un confinement,  Où cours-je ?

12 mars 2020. Un drôle d’anniversaire

Je me souviendrais longtemps de ce jeudi 12 mars 2020.

Ce jour-la, alors que je m’apprête à fêter mon anniversaire, cela fait quelques semaines que le Coronavirus fait quotidiennement les unes des journaux. Deux semaines que chaque jour nous avons le droit au décompte officiel des contaminés, des cas graves et des décès. A la maison, nous en parlons tranquillement, sans affolement, mais avec sérieux et attention, on explique aux enfants les faits, on les aide à démêler le vrai du faux dans ce qu’ils entendent dans la bouche des copains… Cela fait déjà 15 jours qu’une bouteille de gel hydroalcoolique trône dans l’entrée de la maison et que nous prenons l’habitude de nous frotter les mains avant de partir et en rentrant. Le reste du temps, nous insistons davantage sur la fréquence de lavage des mains et nous reprenons les enfants quand ils toussent dans leurs mains. Mais ni plus ni moins.

La journée de ce jeudi où tout a basculé en France, avait pourtant tout pour être une belle journée. Je fête mes 38 bougies, mon homme a pris sa journée et il doit me rejoindre pour le déjeuner sur mon lieu de travail, j’imagine que mes patrons vont me faire une petite surprise, … je me suis réveillée de très bonne humeur, avec beaucoup de gratitude pour ce sentiment de bien-être, de bonheur et de joie à passer ce cap des 38 printemps. Sur le trajet vers le boulot, j’écoute des chansons qui parlent de la quarantaine, le sourire aux lèvres et la tête pleine de projets et de rêves pour ces 40 prochaines années !

Je reçois tout au long de la journée beaucoup de marque d’affection, des petits messages tous plus sympa et joyeux les uns que les autres. Mon téléphone se transforme en guirlande de Noël avec toutes les notifs, et chaque message me fait décrocher un sourire, parfois tirer une petite larme.

J’arrive au boulot la première, mes patrons me rejoignent rapidement, m’interdisant de monter dans les bureaux pour mieux me préparer un petit déjeuner sympa. Guirlande, ballons, bougie sur des viennoiseries, et de jolis cadeaux, j’ai été pourrie gâtée.

A midi, déjeuner en amoureux, sympa ces petites choses qui sortent de la routine et de l’ordinaire. A ce moment-là encore les restaurants sont pleins, les gens ne semblent pas paniqués et le Coronavirus n’est pas vraiment le sujet principal des conversations autour de nous. Ce qui nous préoccupe à ce moment là surtout, c’est l’apprentie qui travaille avec moi et qui part en vrille. Première fois de ma vie de salariée que je suis confrontée à des vraies problématiques de management. Echanger avec mon homme à ce sujet est sans doute l’une de nos conversations les plus fréquentes ces derniers jours.

L’après-midi, je reprends le boulot tranquillement, nous ne croulons pas sous le travail, je mets de l’ordre dans la réserve, arrose les plantes, vérifie que l’on a de quoi faire les prochains réassort dans les boutiques, même si l’activité a déjà baissé et que les prochains réassorts ne seront pas très fournis. Je fais quelques compos, les modèles qui me plaisent, histoire de finir la journée en beauté. Savoir que je vais rentrer à la maison, que les enfants seront déjà rentrés, les devoirs gérés… et que je n’aurais plus qu’à me mettre les pieds sous la table c’est aussi un joli cadeau.

Je sais à ce moment-là que le président doit prendre la parole à 20h, en plaisantant je dis à mes collègues : “sympa, il va me souhaiter mon anniversaire en direct live à la télé, il n’aurait pas du se donner cette peine, je me serais contentée d’un bouquet de fleur envoyé discrètement par l’Elysée à la maison…”.

20h. On est tous les quatre installés devant la télé, un verre de vin à la main pour moi et mon homme, les enfants trinquent exceptionnellement au Coca et on écoute sagement le président. Drôle d’ambiance pour un anniversaire tout de même ! On apprends aussi que les places boursières se sont carrément effondrées, pire que la journée de lundi qui avait déjà battu des records de baisse.

20h et quelques minutes, Gaspard hurle de joie ! Plus d’école jusqu’à nouvel ordre, pour notre petit bonhomme qui n’aime pas l’école, malgré ses facilités, c’est une super nouvelle. Notre Camille reste perplexe et on se regarde avec Bruno en se demandant comment on va faire !

Mon téléphone se transforme en guirlande de Noël, mais cette fois-ci les messages sont plus stressants et beaucoup moins enjoués. Mes patrons me demandent comment je peux m’organiser, ma soeur et ma belle-soeur font un trait d’humour en me disant “ouah, super cadeau de Macron pour ton anniversaire !”… Bref, on rigole nerveusement, et on continue de fêter mon anniversaire dans une ambiance mi-joyeuse, mi-inquiète pour nos entreprises, notre quotidien qui va se voir bien chamboulé et pour notre pays qui va vivre des semaines difficiles. Je souffle mes bougies en formulant le voeux que tout se passe pour le mieux dans les prochains mois pour moi et mes proches.

On tente de coucher les enfants, mais entre l’excitation de l’anniversaire, les nouvelles, les enfant sont nerveux, excités, et difficiles à coucher. Camille s’effondre en pleurs. Le contre-coup de la nouvelle de la fermeture du collège provoque chez elle un grand stress. Que se passe t-il ? Pourquoi ferme t-on les établissements ? Les lieux qu’elle côtoie au quotidien deviennent symbole de danger… rien de rassurant pour une jeune fille de nature anxieuse. Elle comprends qu’on entre dans une période inédite, historique et pour une jeune ado, se voir privée de ses copains, de son réseau social est une pilule difficile à avaler. Ils ont beau avoir les portables, les tablettes, je prends alors conscience que les relations sociales “in real life” sont aussi importantes pour eux que les relations virtuelles et que le monde de ma Camille s’effondre déjà un peu si elle ne peut plus aller au collège et vivre sa vie de collégienne normale.

Les enfants couchés, on reste scotchés aux chaines d’info continue. Bruno me ressert un verre et on se dit que quand même tout ça ne présage rien de bon pour les prochaines semaines, voire les prochains mois. On termine la soirée en échangeant avec nos équipes professionnelles respectives sur Whatsapp, l’organisation se mets déjà un peu en place, mais on en saura davantage demain.

Je me couche pour la première fois depuis longtemps vraiment pas sereine, une vague d’inquiétude m’envahis, pire que celle ressentie le 13 novembre 2015 ou après les attaques terroristes sur notre territoire. Être anxieuse à ce niveau, ce n’est tellement pas ma nature… Je refuse de me laisser envahir et détruire par ce sentiment.

Mais cette fois-ci je la ressens dans ma chair, dans ce corps qui a fait naître deux êtres de chair, endormis et si sereins dans leurs lits ce soir … Quelle idée j’ai eu de les vouloir et de les mettre au monde ? Dans quel monde vont-ils finir de grandir et de se construire ? Comment vais-je pouvoir protéger mes enfants de toute cette anxiété ambiante ? Qu’est-ce que nous attends économiquement parlant durant les prochains mois ? Que va t-il se passer pour nos proches, mes beaux-parents, ma grand-mère, la grand-mère de Bruno qui sont âgées ?

En me glissant sous ma couette, je pense à ses femmes, mamans qui sont seules, comment vont-elles faire, je me sens tellement chanceuse d’avoir un homme à mes côtés. Je suis féministe, certes, mais la présence d’une figure masculine – qui représente encore la force, la protection, et la réassurance dans notre société patriarcale – me rassure énormément, et je me blottit contre lui pour essayer de retrouver un niveau de sérénité suffisant pour trouver le sommeil. Je sais que je pourrais compter sur lui matériellement ces prochaines semaines. Il est fiable, il sait anticiper, évaluer les risques. A moi d’être celle qui va diffuser de l’Amour, rassurer, câliner et faire de l’humour pour garder une ambiance sécurisante à la maison.

Je viens de souffler mes 38 bougies, et le monde tremble. Si ce n’est pas le début d’un nouveau monde, et que le cours normal des choses reprends dans quelques mois – ben quoi on peut avoir un peu d’espoir – je me souviendrais tout de même longtemps de ce 12 mars 2020 comme cette journée où j’ai vraiment commencé à avoir peur pour l’avenir.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *