Journal d'un confinement,  Où cours-je ?

Jour 11. On fait comme si.

Jeudi 26 mars 2020.

On fait comme si. Cela ressemble bien à ce que nous vivons chez nous. Ce jeudi, Calogero a sorti une chanson inspirée par ce confinement dont la totalité des bénéfices ira pour soutenir financièrement les hôpitaux ! Les paroles de la chanson disent : “comme un dimanche imprévu”. C’est tout à fait le sentiment qui m’a envahie ces derniers jours.

Aujourd’hui, c’est un peu la fête ! Nous sortons tous les deux, Bruno pour faire les courses chez les petits commerçants et aller chercher les deux robinets au drive organisé par Leroy Merlin pour subvenir aux besoins de bricolage les plus urgents, comme nous qui avions des fuites sur deux de nos robinets de la maison. Moi au supermarché pour quelques courses et quelques fournitures non alimentaires. Et ce soir nous organisons avec trois copines un apéro-visio, puisque nous ne pouvons plus nous retrouver pour nos déjeuners copines-entrepreneurs.

La journée commence par une partie des devoirs gérés par Bruno. Moi je prépare tout pour la sortie du jour : carte d’identité, autorisation de déplacement que je rempli – en attendant le dernier moment pour y mettre l’heure de départ [nouveauté du décret du 24 mars 2020] ne sachant pas à quelle heure exactement nous pourrons partir, puisque Gaspard est en train de faire ses devoirs… Je rassemble les sacs de courses. Depuis le confinement, je ne m’encombre plus de mon sac à main, je ne prends que le strict nécessaire dans mes poches de manteau, tous les accessoires que l’on touche à longueur de temps sont de potentiels nid à virus. Je ne prends donc que mon portefeuille, mes clés de voiture et mon téléphone. On en revient à cette question de l’Essentiel.

Une fois que j’ai réussi à faire en sorte que Gaspard se prépare, après lui avoir demandé dix fois de mettre ses chaussures et son manteau, nous montons tous les deux dans la voiture. Je démarre, fait quelques centaines de mètre, pour m’apercevoir que j’ai oublié de noter notre heure de départ sur l’attestation. Aucun stylo dans la voiture ou sur moi… Je fais demi-tour pour aller chercher un stylo à la maison, un peu stressée à l’idée de croiser une patrouille qui me demanderait de me justifier … C’est quand même fou cette peur, cette crainte de se déplacer qui est née dans la société. J’en oublie presque de me réjouir de cette sortie qui reste une formidable occasion de s’aérer en cette période de confinement !

Au supermarché, je mets Gaspard dans le caddie avec interdiction d’en sortir. Il y a un peu de monde, mais globalement je trouve les gens plus calmes et moins stressés qu’il y a dix jours. Moins de masques aussi sur les visages, moins de gants. Les messages des autorités semblent porter leurs fruits. Je croise néanmoins quelques regards un peu noir de personnes qui constatent que je suis sortie avec mon enfant. Mais comment faire autrement pour lui faire essayer des chaussures ? Il n’a le droit de toucher à rien et je “gare” mon caddie toujours à bonne distance des autres caddies et nous faisons de grands détours pour croiser le moins de monde dans les rayons ! Beaucoup de rayons sont vides : beurre, crème, fromage, oeufs… pâtes, riz aussi !!! Je ne trouve pas les quenelles que les enfants aiment bien ! Je trouve par contre rapidement une paire de baskets à Gaspard. Je le bénis d’avoir réussi à se décider vite, lui qui hésite toujours et qui négocie tout, cette fois-ci, le choix et l’essayage de la paire dure en tout et pour tout même pas 5 minutes ! Victoire ! Un record à noter dans nos tablettes !

Faire rapide. Ne pas s’éterniser. Ce sentiment d’urgence m’étreint toute la durée de nos achats.Je n’ai pas spécialement peur pour moi ou pour Gaspard, mais je ne sais pas si je ne suis pas moi-même porteuse et j’ai peur en fait de contaminer les personnes que je croise. Gaspard est cool, il ne râle pas, m’aide à remplir le caddie une fois les produits scannés. J’essaie pour la première fois le dispositif de la scanette via mon téléphone mobile. Cela évite que je touche les scanettes du supermarché (que les équipes devront nettoyer plus souvent…) ou que j’expose une caissière avec un contact rapproché. Alors que ce dispositif d’automatisation de l’encaissement, pourrait en temps normal être décrié pour ses conséquences sur l’emploi dans les supermarchés, aujourd’hui il peut peut-être sauver des vies ! Comme quoi, tout est toujours question de point de vue, de priorités, de sens que nous donnons à nos choix.

Je profite d’être au centre commercial pour filer à la grande pharmacie du centre commercial, pour voir s’ils ont reçu du gel hydroalcoolique, car j’en ai à la maison un gros flacon, mais j’aurais bien besoin d’en avoir un dans la voiture pour me désinfecter les mains avant et après les achats, surtout en grande surface. Nous traversons avec Gaspard la galerie marchande. C’est un sentiment étrange de voir tous ces rideaux fermés, cette galerie si vivante et si animée d’habitude. C’est à ce moment là qu’il me demande : “mais maman, toi si tu as le Coronavirus, tu ne vas pas mourir, hein ?”. Il n’avait montré jusque là aucun signe d’inquiétude, mais cette ambiance si particulière, si différente que d’habitude réveille en lui de l’anxiété, bien légitime. Je le rassure avec ce que je sais de la maladie et de ce que les médecins racontent aux informations. J’arrive à la pharmacie, je laisse le caddie à bonne distance de l’entrée avec Gaspard dedans. La pharmacie a reçu quelques flacons. Nous avons le droit d’en avoir un par client. Je m’en mets de suite et j’en mets à Gaspard.

Nous rejoignons la voiture à la hâte, et je range les courses dans le coffre. Faut-il croire les messages qui disent qu’il faut laisser les courses en dehors de la maison quelques heures (en tout cas ce qui n’est pas frais…) avant de les ranger dans nos placards ? Faut-il nettoyer davantage les fruits et légumes que nous le faisons d’habitude ? Je suis partagée entre mon optimiste et ma sérénité qui me susurre à l’oreille que je ne crains pas grand chose, et mon instinct de protection de ceux que j’aime. Je décide de faire comme d’habitude, nous rangeons soigneusement les paquets, et je ne suis pas les recommandations. J’y viendrais peut-être si la situation devait s’aggraver, mais là je n’en ressens pas particulièrement le besoin et je culpabilise presque de ne pas me sentir particulièrement en danger. Suis-je trop insouciante ?

La journée reprends comme si de rien n’était. Je suis frappée par le contraste entre l’ambiance extérieure anxiogène, magasins fermés, rues désertes et le nid douillet de la maison dont l’ambiance n’est pas si différente que d’habitude… Les enfants se disputent, ne rangent pas quand on leur demande, râlent quand il faut rendre service, rechignent à faire leurs devoirs, jouent dehors en faisant les fous, nous mettons du temps à obtenir qu’ils s’habillent, ils négocient les temps d’écran. Toutes nos journées ressemblent à un dimanche, avec beaucoup de devoirs, mais cette sérénité globale qui règne chez nous qui est rassurante. A mille lieues de ce qu’il se passe à l’extérieur et ce qui se joue dans le Monde. Sans doute est-ce là notre rôle de parents en ces temps troublés : faire comme si de rien n’était, ou en tout cas continuer dans le respect des règles sanitaires, à vivre le plus normalement possible.

J’ai d’autant plus de mal à réaliser la situation économique, sanitaire de l’Europe et du Monde, que notre situation à nous est plutôt confortable. Bruno continue de bosser, à mi-temps, mais pour éviter le chômage partiel, il a posé pour le moment des jours de congés qu’il ne pourra de toute manière pas tous poser avant fin mai vu la conjoncture, nous sommes donc assurés de gagner fin mars presque autant que si nous avions travaillé. Je suis moi-même au chômage technique et donc assurée d’avoir un salaire minimum. C’est sans doute aussi pour cela que pour nous la situation n’est pas si stressante au-delà des risques sanitaires.

J’ai vraiment du mal à réaliser que le monde est peut-être en train de changer durablement, tellement pour nous le confinement se passe bien, combien la Joie reste présente chaque jour à la maison. La période de désorientation a été assez courte finalement. Avec Bruno je suis comme d’habitude très tactile et sans doute que nous sortirons de ce confinement un peu plus fusionnels que nous l’étions avant ce confinement ? Être 24h/24 ensemble, nous n’en avons l’habitude que durant les vacances, et notre entente actuelle ressemble à celle que nous avons pendant les vacances et c’est loin d’être désagréable ! Nous n’aurions pas les enfants, et toutes les tâches quotidiennes à réaliser, je crois que nous vivrions collés l’un à l’autre. Cela me fait beaucoup de bien de faire le plein d’ocytocine en nous embrassant et nous prenant dans les bras régulièrement au cours de la journée. Durant deux jours, j’ai même réussi à me passer de chocolat le soir. Comme quoi, la pulsion de sucré est bien un besoin de douceur, et de tendresse, qui quand il est comblé par autre chose cette pulsions peut disparaître… en tout cas chez moi !

La journée se termine avec un apéro-visio entre copines. Trois vies assez semblables jusque là, mais qui prennent chacune des tournures très différentes avec ce confinement. Il y a la copine pour qui le confinement n’a pas changé grand chose car elle bosse à l’extérieur de la maison, dans un atelier en solo, son conjoint auto-entrepreneur subissant une grosse baisse d’activité dans son secteur, il gère leurs filles lui permettant de poursuivre son activité presque comme si de rien n’était, elle a donc pas encore vraiment réalisé. La seconde, qui bosse habituellement chez elle, puisqu’elle est auto-entrepreneur, mais se retrouve avec ses 3 hommes à la maison : ses 2 enfants et son mari en télé-travail, avec beaucoup de boulot, dont des commandes nombreuses de masques en tissu qu’elle s’est mise à fabriquer avec la crise. Et puis il y a moi. Qui retrouve un statut de “maman au foyer” avec mes problématiques basiques, et du temps à consacrer aux enfants et à la maison sans trop de soucis économique puisque je percevrais des indemnités de chomage partiel. Cette crise soudaine modifie les vies, les parcours et provoquera des ruptures de parcours, des inégalités qui n’existaient pas auparavant. Cela va laisser des traces indélébiles et durables dans la société…

Il y en a deux pour qui la vie est bien plus belle durant ce confinement : nos poules. Nous les faisons profiter du jardin chaque jour, contrairement à d’habitude ou elles restent dans la volière la plupart du temps. Le jardin va clairement en prendre un sacré coup, car elles détruisent un peu tout sur leur passage, mais elles sont en pleine forme, et de plus en plus attachées à nous et à Camille et avec la pénurie d’oeuf constatée dans plusieurs commerces, nous sommes heureux de les avoir !

Bilan de la journée :

  • Ecole : Bruno a expérimenté ses premières difficultés avec Gaspard (et cela me rassure) Camille a retrouvé un peu d’entrain au travail.
  • Enfants : de plus en plus intenables en fin de journée !
  • Parents : on tient le coup !
  • Nombre de carré de chocolat consommés : 3
  • Nombre de verre d’alcool consommés : 1 (apéro entre copines oblige !)
  • Sortie à l’extérieur : 2 pour Bruno, 1 pour moi !
  • Moral : 7/10
  • En résumé , On fait comme si !

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