Imaginer,  Journal d'un confinement,  Militer

15 juin 2031

[Ce texte est une fiction que j’ai eu besoin d’écrire, une fois que j’ai eu terminé plusieurs livres sur l’effondrement probable de notre société industrielle et regardé la série documentaire Next sur You Tube. Écrire ce à quoi la vie pourrait ressembler m’a aidé à imaginer qu’un futur heureux, même si difficile, était possible. Ce texte, un peu brut de pomme et sans doute très imparfait, est dans mes tablettes depuis plusieurs mois. Plus je le relisais, moins j’avais envie de le publier parce que je crois que je ne voulais pas y songer à ce futur. Ces derniers jours, avec le confinement et l’épidémie de Coronavirus évidemment, il m’est revenu à la mémoire … J’ai changé à peine quelques mots et quelques dates (circonstances et date de début d’effondrement de notre société) avant de me décider à le publier.]

Il est 5h50. Les oiseaux chantent et les premiers rayons du soleil filtrant à travers les persiennes me réveillent doucement. Depuis plusieurs mois, nous sommes à court de pile pour nos réveils et finalement c’est pas plus mal ! On a appris à vivre de nouveau au rythme de la nature. Les journées commencent beaucoup plus tôt, et finissent aussi beaucoup plus tôt. On travaille dans le jardin et le potager le matin, et l’après-midi se sont plutôt les activités sociales : cuisiner, faire quelques courses, accueillir les clients et bricoler avec eux dans l’atelier.

Comme d’habitude, je prends généralement le petit-déjeuner dans ma véranda plein sud-est, elle donne sur notre grande cuisine et fait office de salle à manger aussi. Je mesure notre chance d’avoir trouvé cette vieille maison normande parfaitement orientée il y a 8 ans, presque bioclimatique avant l’heure ! Cet hiver les jours de beau temps, je n’avais même pas besoin d’enfiler mon gilet tellement l’atmosphère était douce avec le soleil qui réchauffait doucement à travers les vitres. J’apprécie ce moment ou tout est encore calme. Mes grands enfants émergent à peine, j’entends au loin mon homme qui ronfle encore. C’est mon moment préféré pour écrire ou dessiner.

L’odeur du pain que je réchauffe dans mon four à bois envahi la cuisine, et je me laisse bercer par le bruit de ma cafetière italienne posé sur les plaques au dessus du four. Je n’ai pas réussi à me passer de café. C’est mon petit plaisir. Le prix au kilo a explosé ! Et on n’en trouve pas toujours dans les magasins, c’est selon les arrivages. Alors je savoure cette petite tasse quotidienne quand j’ai du stock ! Je le déguste comme un grand cru bordelais et je me dit que j’en ai de la chance de pouvoir en trouver pas loin de chez moi contre quelques normands, notre monnaie locale et un peu de troc. Beaucoup n’ont pas cette chance là. Comme on a décidé de s’installer près des côtes normandes, et à quarante kilomètres du port du Havre, on a la chance d’avoir des magasins achalandés relativement régulièrement malgré la crise d’approvisionnement. Les bateaux à voiles transportent moins de marchandises et mettent plus de temps. Il a fallu renoncer à pas mal de produits d’importation depuis que les grandes sociétés pétrolières ont fait faillite et que le pétrole est devenu tellement cher, que les porte-container ne naviguent quasiment plus.

Ils ont parlé de tickets de rationnement l’autre jour à la radio. Il y a trop d’émeutes dans les magasins quand les camions déchargent leur maigre livraison. Cela nous fait un peu peur, mais on s’était préparé à l’idée depuis le temps qu’on entend parler des scènes de bagarre devant les magasins des grandes villes. De notre côté, comme le rendement de notre potager n’est pas si mauvais, on se dit qu’on pourra faire du troc de ticket ou de victuailles avec les voisins du village qui ont moins de surface de culture, on a appris à se débrouiller à force. Ici à proximité des ports et le long de la Seine, ce n’est pas encore trop compliqué. Mais ce n’est pas le cas dans certaines régions plus reculées dans les terres. Seules celles qui ont réussi à faire le nécessaire pour être autonomes en produits frais en généralisant la permaculture dans les exploitations agricoles arrivent à subvenir aux besoins de la population. En Normandie, les agriculteurs de la région ont senti le vent tourner au début des années 2020, et ils ont augmenté leur rendements de manière spectaculaire depuis qu’ils ont diversifié leurs exploitations et ont abandonné la monoculture sur leurs parcelles ! Même les étés les plus chauds, ils arrivent à produire des fruits et des légumes en quantité. On est encore bluffés par cette capacité des espèces végétales à cohabiter, à se protéger et à s’aider mutuellement à produire ! Je me souviens de ce débat qui avait agité le monde de l’agriculture à la fin des années 2000, les gens disaient qu’en bio on arriverait jamais à nourrir toute la planète, que les rendements seraient beaucoup moins bons. Cyril Dion avait même fait un documentaire “Demain” pour démontrer que cela était possible, même en ville ! Comme quoi …

Je n’entends pas mon homme arriver dans la cuisine et ses bras tout chauds me sortent de ma réflexion…

– Hello, tu as fait chauffer de l’eau ?
– Oui. Je t’ai préparé ta tasse. Mais il ne reste plus beaucoup de thé. Tu veux pas un café plutôt ?

– Non, J’ai prévu de passer au port aujourd’hui voir Nicolas et Stéphane, ils ont bien du recevoir des cargaisons depuis 1 mois, je vais prendre le panier de fraises et les amandes fraiches, je vais bien réussir à troquer quelques trucs ! Il faut aussi que je m’attaque au problème de la citerne, avec la météo de ses 3 dernières semaines, elle est au 3/4 vide. Il va falloir commencer à rationner ! En rentrant, je verrais si au village ils en savent un peu plus sur la remise en service du réseau de distribution communal !

– Ta réparation de l’éolienne a l’air de tenir. On va pouvoir écouter un peu de musique cet après-midi à l’atelier ! Il y a du vent aujourd’hui. On essaiera d’en profiter pour recharger tout ce qu’on peut !

– Il faut que je passe chez Paul aussi, il m’a dit qu’il prévoyait de produire plusieurs hectolitres d’alcool à betteraves cette semaine, on va pouvoir faire le plein pour nos lampes !

– donc on ne te revois pas avant ce soir…

– c’est ça ! … Je partirais en fin de matinée, après avoir préparé et planté la parcelle de courges au fond du potager avec les enfants.

Nous nous posons chacun avec nos tasses fumantes dans la vieille banquette en fer rouillée qu’on a récupéré sur le trottoir il y a une dizaine d’année. On l’adore ! On y a mis des coussins que j’ai confectionné avec des tissus de récupération. On y est bien. Je m’assois et pose ma tête sur son épaule, comme tous les matins depuis un an. Cette banquette est notre refuge. Il est mon roc. Mon repère. Cette année a été rude ! L’économie mondiale et les états se sont effondrés les uns après les autres depuis dix ans. Le premier séisme a été l’épidémie de Coronavirus au printemps 2020. S’en sont suivies plusieurs répliques. Cela a fait effet domino ! J’ai perdu mon boulot peu de temps après. Mon homme a perdu son boulot il y a seulement quelques mois quand les grandes banques ont fait faillite en France. Il avait anticipé la situation, nous avions de l’argent de côté et on a investit tant qu’on pouvait pour s’équiper, et créer notre cocon dans cette maison. On on avait fait des bas de laine et nous avons rejoint le réseau de la monnaie locale le normand. Depuis 3 ans, nous avions aussi commencé à développer des activités alternatives nous permettant d’obtenir quelques revenus complémentaires. Notre atelier de réparation, d’upcycling et de recyclage tourne bien depuis presque 2 ans. Les gens du coin nous font confiance, mais cela ne suffit pas à nourrir la famille. Heureusement qu’on a fait cette formation en permaculture il y a 5 ans ! Cela nous a permis d’être à peu près autonome pour ce qui est de nos besoins quotidiens en fruits et légumes. Comme nous bricolons beaucoup, nous avons pu mettre en place quelques éléments pour être à peu près autonomes en énergie, mais tout est question de priorité, tout le temps. Surtout depuis que l’Etat a rationné l’approvisionnement en électricité. On a de l’électricité une fois par semaine. Chez nous c’est le lundi. Le village d’à côté c’est le jeudi.

Il a fallu revoir complètement notre façon de vivre, nous sommes passés par des périodes pas faciles. Même nous qui avions entamé une transition écologique, et de décroissance. Les enfants ont eu du mal. Ils ont du abandonner leurs rêves d’études et notre ainée à été obligée de revenir vivre à la maison : sa vie d’étudiante sans le sous en région parisienne était devenue trop compliquée. Nous faisons bloc tous les quatre. La maison et l’atelier tournent grâce à eux aussi. Ils sont étonnant de résilience et de solidité. L’amour qui nous lie, tout ce que nous leur avons transmis comme valeur  et notre éducation portent leurs fruits. On en a bavé les dernières années ou en était en région parisienne, mais cela valait le coup, ce sont de jeunes adultes, utiles, actifs, joyeux, vecteur de beaucoup de paix et d’amour autour d’eux. Leurs amis du coin ne sont pas tous aussi débrouillards qu’eux. On s’en sort pas trop mal. On a de la chance.

Louise fait son entrée dans la véranda, pieds nus comme toujours. Elle a enfilé une vieille chemise à son père en guide de pyjama. Ses longs cheveux en bataille qu’elle a depuis toute petite forment un nuage autour de son visage. Elle m’embrasse mécaniquement sur la joue et me glisse un “bien dormi ?” les yeux à moitié fermés. Sa peau mate ressemble à une belle brioche dorée … Le travail à l’extérieur lui donne bonne mine dès le mois d’avril, je la trouve tellement belle avec cette peau dorée, ses tâches de rousseur et ses traits fins. Dommage que son Jules l’ai laissé tombée. A 5 on aurait pas été de trop pour faire tourner le potager et l’atelier ! Mais sans doute n’était-il pas fait pour elle…

Elle avale un grand verre de jus de pomme du verger de notre voisin, et ouvre machinalement le frigo, mais cela fait déjà deux semaines qu’il ne fonctionne plus, notre groupe électrogène est tombé en panne.

No Comments

  • Machy

    Merci pour ce voyage dans le futur et tu vois loin de me faire peur cette vision m’a fait du bien. Peut-être est ce le chemin que nous prendrons. Existe-t-elle cette maison ? En tout cas, mon imaginaire l’a dessiné en quelques mots seulement. J’aurais aimé être auprès de vous ce matin la pour créer vos souvenirs et partager une tasse de café !

    • Claire

      Heureuse qu’elle t’ai fait du bien, c’est ce pourquoi j’ai fini par la publier. A moi aussi elle m’a apporté réconfort et confiance en l’avenir. Cette maison n’existe que dans mon imagination… et dans mes visualisations. Elle est beaucoup inspirée de la maison Paulette. Un jour elle existera bel et bien et je prendrai ce café fumant au levé du jour.

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