Journal d'un confinement

Dernier week-end avant la “reprise”

Samedi matin je me lève de mauvais poil. Il faut le dire. La semaine qui vient de s’écouler a été mouvementée. (à lire ici)

Je me prépare pour le ravitaillement hebdomadaire et je suis prise d’un stress et d’un énervement que je ne comprends pas. Je prévois d’aller chez mon primeur, la biocoop et puis le libraire de ma ville. Je suis soulagée que Bruno gère les courses à Carrefour pour ce qu’on ne trouve pas chez les petits commerçants de quartier. Je me gare près de chez nos amis qui ont déménagé la veille du confinement et habitent un petit quartier sympa, sur les hauteurs du centre-ville. J’emprunte les escaliers qui descendent à l’église. La vue y est sympa, j’ai l’impression d’être dans un village de campagne. J’ai mon panier à la main, le temps est doux. A cet instant précis je me sens bien. Et c’est le plus important. Dans la rue piétonne, devant sa boutique, le libraire a sorti une table, et sa cafetière et offre un café aux passants. Tant pis, j’avais prévu d’y passer au retour, mais c’est un signe. Prendre le temps d’un café, de papoter littérature, survie des petits commerces et faire une bonne action. Voilà qui a du sens. Je pense au “retard” que je vais prendre sur mes courses. Et puis merde. Tant pis. Une fois le breuvage avalé, j’enfile mon masque et je rentre dans la boutique. J’achète un album d’Asterix pour Gaspard qui commence sa collection, et un roman jeunesse qui m’attire pour Camille. Comme on a pas trop le droit de toucher et feuilleter les livres, je ne m’attarde pas trop sur le choix pour Camille. Pas facile mais je fais confiance à mon instinct. Je passe ensuite à la caisse pour commander quelques lectures pour ces prochaines semaines. J’ai la chance d’avoir du pouvoir d’achat en ces temps difficiles. Il faut sauver les petits commerçants. J’aurais largement pu emprunter ces livres à la médiathèque. Mais je crois en l’utilité des librairies indépendante dans la vie de la société. Il est temps de les soutenir puisque je le peux. Je milite avec ma carte bleue. C’est largement plus confortable que d’aller manifester, oui. Mais c’est le seul truc dont je me sens capable pour le moment, même si j’ai une sérieuse envie de faire la révolution. C’est décidé. Fini la FNAC et Cultura pour les livres neufs. Je poursuis mes courses. Mon primeur est fermé. Zut. Je file au marché. Ouf, il n’y a pas la queue. Comme si les planètes s’alignaient pour que tout se passe pour le mieux. Je remercie qui de droit pour cet enchaînement heureux des choses. Bon j’ai oublié ma liste. Pas grave. Je fais confiance à ma mémoire et je referais des courses dans le courant dans la semaine si j’ai oublié des trucs. Le marché a réouvert le mercredi, donc je reviendrais me réapprovisionner. Faire confiance à son commerçant pour choisir ses fruits et ses légumes, échanger des idées de recette, goûter un bout de melon, rire avec un bon trait d’humour. ça fait du bien. Rebelotte chez le fromager. Le lien. Encore et toujours le lien. Cela n’a pas de prix. Et cela ne prends finalement pas plus de temps que ça… Je remonte, notre copain est en train de bricoler dans son garage, avant de reprendre la voiture, je passe une tête. On échange des banalités. C’est con, mais ça fait grave du bien. A 11h15 je suis de retour à la maison de bien meilleure humeur – à peine contrariée d’avoir oublié ma liste et finalement je m’en sors bien. Je n’ai pas oublié tant de choses que ça. On organise sur un coin de table en trois minutes top chrono l’anniversaire de Gaspard. Qui veut un anniversaire “trappeur”. Une nuit sous tente avec une toute petite poignée de copain., des pommes de terre à la braise, des chamallows grillés et regarder les étoiles. On envoi les invitations vite fait par sms. Les réactions des parents sont toutes enthousiastes. “Super idée !” “original”, “il vous aura tout fait votre Gaspard”. Et même les parents qu’on connait moins bien ont une super réaction. Je suis aux anges. Quand vous retirez l’enfant du contexte et de l’influence de l’école, des copains, de la société. Il reste ce qu’il est profondément. Et ses vraies aspirations. Mon Gaspard est bien plus sensible que l’on imagine. Et bien plus conscient de ce qui est vrai, authentique et essentiel qu’on a tendance à le croire. Tous ses comportements que je ne comprends pas sont, à mon avis, induits par ce qui l’entoure d’habitude au quotidien, par les écrans, par l’influence des copains. Comme parasité. Le confinement aura encore plus révélé la partie hypersensible en lui. Il va nous en falloir du boulot pour l’aider à vivre tout ce qui fait sa personnalité avec sérénité. Je ne suis pas étonnée par la liste des copains qu’il invite à son anniversaire : ils lui ressemblent. Là non plus, pas d’influence des copains et pas de pression, de jalousie qui amène souvent les enfants à inviter des enfants qu’ils n’ont pas envie d’inviter mais qu’ils ont peur de blesser s’ils ne les invitent pas.

Je passe mon samedi après-midi dans le jardin de la Bourgeoise d’en Face. On est heureux de se retrouver en vrai. En chair et en os. On est frustrés de ne pas se prendre dans les bras, se s’embrasser et de manifester notre attachement les uns et aux autres. La seule bise que l’on fait, c’est à l’une d’entre nous, qui a été touchée par le Covid et a encore du mal à s’en remettre point de vue capacité pulmonaire. Elle nous nargue et claque une bise à tout le monde. On échange sur les projets en cours. Au goûter, on sort les bulles et les gâteaux pour fêter les anniversaires qui ont eu lieu durant le confinement. On échange sur le potager, sur les toilettes sèches et tout le boulot qui a été fait durant le confinement par les volontaires qui sont venus régulièrement faire re-vivre le jardin. On s’interroge sur cette drôle de reprise. On confronte nos expériences du confinement. C’est doux. Il fait beau. Je me sens libre et entourée de gens avec qui c’est fluide. ça fait un bien fou. Je traîne jusqu’en fin de journée. Je suis une des dernières à partir. J’aimerais tellement prolonger ça et vivre ce genre d’après-midi avec ce genre de personne le plus souvent possible. Il va falloir que je me raccroche à ça. Je l’écris donc ici pour m’en souvenir. C’est ça mon idéal. C’est ça l’objectif. Sans la ville de banlieue, ses bouchons, ses incivilités, sa densité, et sa violence. Avec un temps de travail juste et épanouissant, utile à la communauté, le plus écologique et durable possible, et qui me ressemble vraiment. Sacré défi que d’imaginer et construire un tel projet. Mais c’est mon cap pour les prochaines tempêtes que l’on va avoir à affronter.

Je rentre, je me mets les pieds sous la table, et la soirée passe vite.

Dimanche en famille. Journée relativement calme. On s’occupe tranquillement, peinture et legos pour les enfants, un peu de jardinage, une longue sieste-lecture pour moi dans le hamac. Ecrire ici. Ranger un peu. On regarde Le Cirque de Charlie Chaplin après le dîner.

Lundi, rebelote. Je traîne, j’ai du mal à imaginer que demain, tout recommence comme d’habitude ou presque et je ne veux pas y penser. Je traîne durant la matinée. L’après-midi, je couds encore quelques masques pour moi, et puis je lis. Mais fin de journée, la colère me reprends. Les enfants trinquent, les jouets qui traînent, les choses qui devaient être faites et ne sont pas faites. Heureusement ma tarte Pissaladière, contre toute attente remporte un franc succès. Mais l’annonce du programme du lendemain, beaucoup moins. Camille ne veut pas rester seule toute la matinée, Gaspard ne comprends rien au nouveau rythme de la semaine, et il faut se lever tôt. Et il falloir que je remette des chaussures toute une matinée. Tout va bien.

Bref. Demain c’est la reprise.

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