Journal d'un confinement,  Où cours-je ?

Alors c’est ça la liberté ?

Ce vendredi je me suis écroulée, sur le canapé, devant la télé , à 21h30. Anesthésiée sans doute par le double Spritz, il me fallait au moins ça pour digérer la semaine qui vient de s’écouler (c’est moche je sais, et l’abus d’alcool et dangereux) Elle n’était pas plus chargée que d’autres, je n’ai pas fait des journées de folle, je n’ai pas eu quinze mille rendez-vous, non. Je suis juste sortie de ma cabane. Je suis sortie du rythme qui me convient si bien, j’ai retrouvé la liberté qu’ils disaient !

Alors c’est ça la liberté du Monde d’Après : c’est mettre ses affaire de classe dans un sac plastique à son nom, parce que les cartables sont interdits ?

De venir avec trois jouets à l’école – oui, mais facile à désinfecter – avec deux livres et des stylos étiquetés qu’il ne faut pas prêter aux copains. C’est ça la liberté de ne pas jouer avec les copains ? C’est ça la liberté, de devoir adapter ses horaires de travail, de réduire son temps de travail et donc son salaire, pour pouvoir être présente pour “faire l’école à la maison” quand l’école peut pas le faire – parce qu’il ne peuvent pas accueillir tous les enfants. Alors c’est ça la liberté, se faire prendre la température à l’entrée de l’établissement. Alors c’est ça la liberté ? Travailler avec un masque étouffant pendant quatre heures, devoir éléver la voix pour se faire entendre de ses collègues, avoir mal derrière les oreilles et mettre une heure pour avoir l’impression de retrouver un taux d’oxygène normal ? La liberté du monde d’après c’est obéir comme un bon petit soldat pour faire redémarrer l’économie, mais surtout se couper en quatre pour tout concilier et avec le sourire s’il vous plaît, c’est “le retour des jours heureux” et avec suffisamment le moral pour aller consommer dans les magasins parce qu’en tant que bon petit soldat consommateur il faut être au rendez-vous sinon on va devoir payer la dette. Déjà que c’était compliqué dans le Monde d’Avant, mais là… on dépasse l’entendement, non ?

Les trois premières semaines de déconfinement, j’entendais le gens heureux de retrouver leur liberté. Mais moi, je n’avais pas envie de retrouver ma liberté si elle ressemble à ça car je l’avais déjà ma liberté : je l’avais enfin touchée du doigt. Elle était là, dans le confinement : du temps autant que j’en voulais pour les choses qui comptent. Laisser son regard vagabonder dans les méandres vertes du jardin pour se poser sur une fleur, un oiseau qui vient se nourrir, un papillon blanc qui passe par là … prendre le temps de découper une courgette, d’en sentir la fraicheur, la fermeté, et d’en détailler les nuances de vert… Regarder ma fille grandir jour après jour, observer mon petit bonhomme se dépatouiller avec ses émotions, découvrir son humour et le voir en jouer, parfois aux dépends de sa soeur… Passer du temps en cuisine avec mon homme, sans se parler, sans se toucher, mais être juste là dans la même pièce, le midi, en pleine semaine, bricoler ensemble … Avoir une réflexion qui me traverse l’esprit, prendre l’ordinateur et la poser ici pour la détailler plus tard ou tout de suite, puisque l’inspiration est là… Ne pas porter de soutien-gorge, ne pas devoir s’épiler, ne pas avoir à se demander si son apparence est correcte, juste avoir à se plaire dans la glace et se sentir bien dans sa peau et ses tongs. Aucune injonction sociale, aucune politesse à avoir, ne pas avoir à répondre à toutes les sollicitations sociales… voir un mail et faire comme si de rien n’était parce qu’on sait pas quoi répondre. N’y répondre que quand on a la réponse et l’envie d’y répondre. Ressentir de l’élan pour dessiner prendre une feuille et s’y mettre. Avoir envie tout d’un coup de faire un gâteau avec les enfants, et se lancer. Tout ça sans se dire que “non on a pas le temps”, il y a d’autres choses à faire plus “importantes” avant… Tout ça sans un oeil sur l’horloge ou presque.

Bref. cette semaine de reprise a été épuisante à tout point de vue. Je l’ai passée la mâchoire serrée, les larmes au bord des yeux, la sensibilité à fleur de peau, un orage d’émotion, de colère, de tristesse de rage presque au coeur des tripes. Une vraie bombe à retardement.

Forcément, mercredi, tout a explosé, cela ne pouvait pas être autrement. Je vous passe les détails. Mais Camille a été refoulée du collège. Fièvre. Enfin non. le thermomètre de l’infirmière indiquait 38°C. Le mien une heure plus tard affichait 36,6°. La principale adjointe m’appelle. Je suis scotchée sur ma chaise, abasourdie par l’absurdité de la mesure. Il me faut dix minutes pour me décider à me lever et aller la chercher. Alors c’est ça la liberté ? C’est cela les jours heureux ? Devoir gérer la pression de son entreprise qui a besoin de toi pour relancer l’activité, et devoir jongler entre les contraintes sanitaires de l’école et les emplois du temps kafkaïens. Aller chercher son enfant parce qu’elle a peut-être de la fièvre et donc Covid suspect. Et encore je ne suis pas au boulot. Heureusement. Elle était tellement heureuse de reprendre le chemin du collège, et moi tellement contente de souffler un peu. Eh bien non. Enfiler mes tongs, prendre la voiture. Se garer face à la grille du collège. Exploser face à la principale et son ajointe. Traiter le système d’absurde. Pleurer de rage face ces deux personnes qui n’ont rien demandé et deviennent le réceptacle de toute ma colère, devant ma fille. Prendre ma gamine toute penaude se demandant ce qui se passe, sous le bras et m’effondrer à la maison pendant une bonne heure. On est ensuite partis tous les quatre en forêt, avec pic-nic et vélos dans la voiture. Mais en fait j’ai même pas réussi à en profiter. Avaler des kilomètres en essayant de suivre mon Gaspard qui trop heureux de foncer et se défouler allait à une allure pas possible. Pas le temps de profiter des oiseaux, des bruits de la forêt, du silence, du calme. Alors que c’est ce dont j’avais le plus besoin.

L’orage de la soirée et de la nuit de mercredi à jeudi était au diapason et était une parfaite prévision de l’ambiance familiale de fin de semaine. J’ai fait tomber la foudre jeudi matin avant de démarrer le boulot. Le truc à ne jamais faire, je vous le dit. Je le sais. Mais je l’ai fait. Lancer la bombe avant la journée de boulot, ne pas pouvoir en reparler avant de se retrouver le soir. Je crois que la tension accumulée avait besoin de s’évacuer. J’ai vraiment ressenti cette “décharge”. Mais la foudre ça fait des dégâts. Je parle de beaucoup de chose ici, mais il y a des choses sur lesquelles je ne veux pas m’étendre. Je ne suis pas complètement impudique non plus. Mais on pourrait facilement comparer notre fin de semaine à un ouragan. Après la foudre et l’orage, des vents forts, qui t’assourdissent, qui détruisent beaucoup de chose sur leur passage, et qui te laisse abasourdis quand ils se calment enfin. Je vous rassure, il n’y a pas eu de casse matérielle ni humaine. Mais accorder ses violons en couple peut parfois être violent et source de grande incompréhensions, d’interprétations si on ne prends pas la peine de communiquer calmement, correctement, de poser les questions que le comportement de l’autre fait naître chez nous. Bref. Vingt ans de relations, quinze, bientôt seize ans de mariage et ont fait encore des grossières erreurs. Et nous voilà en plus de cette reprise pas simple ni pour lui, ni pour moi, à devoir reconstruire la communication et la compréhension mutuelle de ce qui se joue en nous en ce moment. Chacun avec ses angoisses, avec ses besoins, ses rêves, ses limites.

En terme de reprise, il faut gérer le rythme de boulot bizarre. La matinée à produire un maximum de compos, pour ne pas laisser les patrons dans la panade. Sentir dans leurs propos et dans leur enthousiasme de la reprise qu’ils auraient tellement besoin que tu reprennes ton rythme normal, car il faut réassortir toutes les boutiques et produire toutes les commandes pour la fête des mères, fête des pères mais ils osent à peine le dire et le demander tellement conscients que tu ne peux pas faire autrement. Les laisser en plan à 13h15. Foncer à la maison pour que Camille n’attende pas trop longtemps pour déjeuner, préparer le déjeuner en vitesse pour qu’on ne mange pas trop tard. 14h30 s’écrouler sur le canapé. Prendre du temps pour moi. J’ai même pas eu l’énergie de faire autre chose que des siestes jeudi et vendredi. Se secouer vers 16h, pour se préparer à aller chercher Gaspard. Absorber son énergie débordante, son envie de tout raconter, de râler contre ce qu’il n’a pas aimé. Essayer de lui faire voir tout ce qui était cool. Lui dire dix fois “non, tu n’auras pas de goûter de la boulangerie, tu en as déjà eu un mardi”. Gérer les frustrations “mais Camille elle a eu sa tablette et son ordinateur toute la journée et moi j’ai pas le droit”. Réexpliquer pour la énième fois qu’elle passe une partie de sa journée seule, à devoir gérer seule son boulot du collège et que la tablette et l’ordinateur on peut pas l’en priver toute la journée et que non “elle n’a pas de la chance”. Accueillir sa frustration, essayer de détourner son attention. Ranger la cuisine, que j’ai pas eu le courage de ranger après le déjeuner. Faire les quelques trucs “à faire”. Les convaincre d’aller à la douche, éviter qu’ils s’entretuent pour une question de playmobils. “Non Gaspard, on ne peut pas manger un morceau de pain à 18h30, juste avant le repas”. Essayer d’entendre l’émission que veux écouter dans le brouhaha des disputes et des jeux. Se demander ce que j’avais prévu de faire à manger, et s’apercevoir qu’il manque quelque chose pour ma recette. Il est déjà 19h30.

Tout ça vous paraît peut-être “normal”, mais pour moi, cette semaine, tout cela me paraissait une montagne. Je me suis sentie sur-sollicitée. En contraste évidemment avec le confinement et les trois mois passés, où mes enfants m’ont sollicitée de la même manière mais où j’ai pu m’accorder beaucoup de temps. Et ce temps là je ne l’ai plus, je “l’offre” à mes patrons contre un salaire. Et je ne me refais pas. J’ai besoin, peut-être plus que n’importe qui de temps avec moi-même. C’est vraiment cela qui me ressource, qui me donne de l’énergie. Alors me retrouver dans le flot des voitures, avec les incivilités, de devoir regarder sans cesse la montre, de retrouver mes patrons (que j’adore, hein, cela ne change en rien combien je les apprécie), retrouver une entreprise qui a “dormi” pendant trois mois qu’il faut faire redémarrer, devoir envoyer des attestations à droite à gauche pour justifier que je ne peux pas reprendre à temps plein, à devoir gérer le dossier de réinscription au collège pour l’année prochaine, essayer de comprendre quand il faut rendre les manuels à ce même collège, essayer de me faire et de me réadapter au nouveau rythme de chacun. Qui va en plus changer la semaine prochaine. J’aime pas la routine, mais sacré paradoxe, dans cette situation de “réadaptation” j’aurais vraiment apprécié que chaque journée ressemble à la précédente. Cela aurait été plus “reposant”.

Je sais que certains d’entre vous, se diront que ce manque d’énergie, cette fatigue n’est pas normale on me l’a souvent reproché et je me suis souvent posé la question. Je ne crois pas avoir de soucis de santé, ma dernière prise de sang est bonne. Non. Je me demande de plus en plus si ma tendance introvertie se s’accompagne pas d’hypersensibilité. Je ne veux pas brandir cela comme excuse ou comme une étiquette supplémentaire et je ne veux pas me laisser berner par le biais de confirmation ou effet Barnum. Mais cela expliquerait quand même que la vie sociale me coûte car je reçois en “pleine face” et suis extrêmement sensible à l’énergie qui m’entoure, celle des gens, celle des situations, celle de l’actualité. Je n’en avais qu’une espèce d’intuition adolescente et dans mon début de vie adulte. Depuis que je suis auto-entrepreneur j’en ai pris encore davantage conscience, et encore plus ces dernières semaines, je m’aperçois combien mon environnement extérieur a une influence importante sur moi et combien il peut vider ma batterie à une vitesse folle. Que je le veuille ou non, j’ai besoin de me couper du monde plus que la moyenne pour me sentir bien. Je ne suis pas une spécialiste de l’hypersensibilité mais si voulez en savoir plus, je vous invite à lire cet article, on va dire que je coche un certain nombre de case.

A 5h ce matin, alors que j’essaie de tromper l’ennui car je ne retrouve pas le sommeil, je tombe sur cet article du site “L’Optimiste” dont je vous ai déjà parlé par ici “Syndrôme de la cabane, ne pas avoir envie de sortir”. Voilà. C’est tout à fait ça. J’ai ma réponse à ma question. Et je me reconnais. Non je ne suis pas folle, pas déprimée. Pas fainéante. Je suis moi. Et pour moi, le déconfinement ce n’est pas la liberté. C’est devoir me réadapter à un monde extérieur qui ne m’avait pas manqué. Et c’est épuisant.

Et là je viens de passer une bonne heure à écrire ce billet, écouteurs sur les oreilles en tête à tête avec Tim Dup (une découverte, j’adore…), avec ma tasse à café, le silence de la maison. J’ai passé une bonne heure en tête à tête avec moi, mon intériorité, j’ai démêlé ce qui c’était passé en moi. J’ai rechargé mes batteries, et là vous ne le voyez pas, j’ai un énorme sourire et un grand soleil qui vient de se lever juste là dans mon plexus, malgré mon réveil à 5h. C’est ça la liberté. Et je me sens presque d’attaque, malgré la journée de fou qui nous attend : courses, marché, déjeuner chez mes parents avec ma soeur et sa famille, ménage, et lessives, et deux/trois trucs à faire pour la Bourgeoise d’en Face. CQFD.

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