ïle d'Or à Frejus
Etre soi-même,  Réfléchir

Ma maison de vacances…

Notre voiture s’arrête après un long voyage devant une porte de garage en fer rouillée familière. Quand le moteur de la voiture familiale s’arrête, c’est le bruit des cigales qui arrive en premier à mes oreilles. La glycine fleurie (mais était-ce seulement une glycine, ou un chèvre-feuille) qui tombe depuis le dessus du garage donne à ce petit morceau d’impasse un air de jardin sauvage peu entretenu. Il y a des tas d’épines de pins parasol partout au sol. La porte de la propriété est également en fer rouillé. Il y a une vieille cloche avec une chaîne, qu’on fait teinter pour s’annoncer. Je ne me rappelle plus très bien si la porte est à barreaux ou pleine. Mais je crois bien qu’elle est pleine car je ne me souviens pas de voir ma grand-mère ou mes arrières grands-parents venir nous ouvrir. J’entends par contre encore les pas de ma grand-mère dans les graviers, et sa voix “j’arrive, j’arrive”, le bruit de la clé qui tourne dans la serrure, le grincement de la porte… Et le visage souriant de ma mamie Annie, heureuse de retrouver son fils, sa belle-fille et ses petits enfants. Les bisous, les câlins des retrouvailles, son sourire, son rire, ses yeux rieurs et son odeur d’eau de Cologne… ses jupes fleuries à mi-mollet qui virevoltent autour d’elle quand elle marche.

Je me souviens de ces premiers pas qu’on fait dans ce jardin, encore un peu engourdis par le voyage. Souvent on arrive en fin d’après-midi, le soleil a tapé toute la journée sur le gravier et il se dégage de ce jardin une torpeur particulière : la torpeur de la mer Méditerranée. La torpeur du Sud. La torpeur avé l’accent, l’anisette à l’apéro et la partie de pétanque. Le soleil donne sur la gauche de la maison, du côté de la cuisine d’été, du cagibis. Laissant une grande partie du jardin à l’ombre. Le palmier au milieu du jardin s’élance fièrement vers le ciel. Une année, quand on arrivera, il aura été abattu : malade. Les pins parasols fournissent un précieux trésor : leurs épines sèches qui recouvrent la cour et deviennent tour à tour, de quoi remplir notre dinette, ou des matelas pour nos playmobils. On en a toujours plein les pieds et les claquettes. Depuis je ne peux pas voir un tapis d’épine de pins sans penser à ce jardin. Il y aussi la forêt de bambou, dans lesquels on joue à cache-cache. Le chêne liège un peu plus loin, offre un parfait perchoir à nos jeux d’enfant, et son tronc imposant est le gardin d’un petit passage secret entre les bambou vers la partie arrière du jardin, là où il y a la balançoire. Celle-là même qui est le lieu de longues séquences de jeux pour savoir de qui entre mon papa et mon oncle ou leurs cousins arrivera à passer devant la balançoire, alors même que je suis en train de me balancer. Cette balançoire finira dans le jardin de mes parents, quelques années plus tard.

La maison est plutôt bourgeoise et construite à la fin du dix-neuvième siècle. Après quelques marches en béton, on découvre la lourde porte d’entrée, imposante dans mes souvenirs avec son bouton de porte travaillé et sculpté, sa vitre protégée par une grille en fer forgé. Quand on l’ouvre, nos ombres s’étirent sur les carreaux de ciment, et orientent nos regards au loin dans ce grand couloir sombre qui fait toute la longueur de la maison. La sensation de fraîcheur est immédiate quand on vient de l’extérieur. A gauche en rentrant se trouve la caverne d’alibaba, un cagibi qui sent le sable, l’iode, le sel et le renfermé quand on est les premiers de la saison à l’ouvrir. On y entasse parasols, salon de jardin, matériel de plage et de plongée. Un peu plus loin à gauche, on trouve un petit couloir qui mène sur une autre porte vers l’arrière de la maison. Il existe une photo de moi devant cette porte. J’ai deux ans tout au plus, peut-être même moins. Je porte une robe bleu et rouge, et des sandales blanches. J’ai encore peu de cheveux sur le cailloux, mais des esquisses de boucles et je tiens un truc dans ma main, papa a cadré sa photo en plongée, et on peut voir les carreaux de ciment au sol.

Puis, encore plus loin sur la gauche,  une vieille cuisine, avec une cheminée si mon esprit ne divague pas trop… Elle devait servir au personnel de maison du temps où les familles bourgeoises avaient encore du “petit personnel”. J’apprendrais plus tard qu’il y avait des inscriptions nazies dans cette cuisine, car la maison avait été occupée pendant la seconde guerre mondiale par un commandement allemand sous l’occupation. Je revois un vieil évier en pierre, les tomettes au sol. Une pièce sombre, un peu encombrée, qui ne servait plus vraiment de cuisine, mais plutôt de débarras d’atelier peut-être et de cellier. A droite tout au long de ce couloir, des chambres. Celle de mes parents, de ma grande-tante et des cousins sans doute. Toutes avec leurs tentures, leurs fauteuils,  ou banquette aux motifs provençaux. Toutes avec leur double-porte fenêtre donnant sur des escaliers descendants vers le jardin. Au fond du couloir une salle de bain, un peu sombre aussi et la chambre des enfants avec un vieux lit à barreaux en fer forgé blanc, avec ses tâches de rouille et son matelas en plumes. Je me souviens des oreillers et des traversins si lourds, et qui piquaient parfois quand l’extrémité d’une plume venait à percer le tissu. Mais que c’était confortable d’y poser sa tête après une bonne journée de jeux ! L’odeur des plaquettes anti-moustiques qu’on branchait à la nuit tombée me revient aux narines…

Pour monter à l’étage, un vieil escalier en chêne qui tourne et dont les marches grincent sous les pas, une rambarde aux barreaux en fer forgé et à la main courante en bois, dans laquelle, entre les barreaux, nous nous amusions à passer nos jambes dans le vide. Il existe dans les archives familiales, une photo de moi et ma soeur assises dans cet escalier, le sourire malicieux un peu crispé, le dos droit, le teint halé des vacances, dans nos tenues estivales, la mienne était dans les tons oranges, cousues par une femme de la famille, notre mamie Annie, ou maman, je ne saurais plus vous dire. Nos carrés de petites filles sages un poil décoiffés… pieds nus sans doute !

Au premier étage, on trouve une toute petite cuisine. Je me souviens de “mamie de Marseille” (mon arrière grand-mère) cuisinant avec Mamie Annie, ma grand-mère. Je me souviens des bols, jaunes, à oreille. Des biscottes du petit-déjeuner. De leur retour du marché quand elles déballaient leurs achats. Des amandes fraîches. Dans le salon trône un piano désaccordé, mais qui ne reste jamais bien longtemps silencieux, mais dont les portes-chandelles seront restés désespérément vides. Des meubles de salon en rotin. Depuis les fenêtres du salon double-exposition, et à travers les garde-corps en fer forgé peint en turquoise, on voit le jardin. Et la mer au loin je crois. Je me souviens des chaises Napoléon III autour de la table familiale. Du linge de maison en lin blanc immaculé. Des napperons. De la vaisselle en faïence. Des voilages qui s’agitent avec le mistral. Du vaisselier trois portes dont les serrures étaient montées à l’envers. Lui aussi, comme la balançoire, il finira chez mes parents. Il est troué de partout par les xylophages, mais il est beau  et majestueux. Il me paraît immense depuis mon regard d’enfant. Il renferme surtout dans l’un de ses tiroirs, des pastilles Vichy, des anis de Flavigny. Les amandes fraîches sont souvent posées là, dans un grand panier à fruit sur le buffet que j’arrive à atteindre en me hissant sur la pointe des pieds. Dans mes souvenirs les repas de famille ne me paraissent absolument pas longs et ennuyeux car je me souviens des rires qui résonnent, des jeux de mots que je ne comprenais pas, des blagues racontés par les cousins de mon père. C’était pas les derniers à faire les idiots. Par contre, il fallait bien se tenir à table, mon arrière grand-père savait le rappeler. Je me revois scrutant les mains de de l’adulte qui me décortiquais méthodiquement les amandes fraîches, et rien que d’y penser leur goût si vert, si frais, très peu amère me revient à la bouche. J’ai tenté d’en racheter récemment. Elles n’avaient pas le même goût que dans mes souvenirs. Sans doute me manquait-il la maison, le soleil du sud, le chant des cigales et les mains de mon grand-père pour qu’elles soient savoureuses.

Plus loin les chambres, celle de grand-père et de mamie de Marseille, mes arrières grands-parents et celle de mes grands-parents. On y trouve souvent refuge avec Mamie Annie. Mes soeurs, mes cousines et moi, on se perche sur le garde-corps turquoise pour mieux voir la mer et l’horizon et pour voir les grands dans le jardin jouer à la pétanque. La salle de bain de l’étage n’est pas très loin. Je ne sais pas pourquoi quand je pense à cette salle de bain, c’est la couleur des cheveux de ma Mamie de Marseille qui me revient en mémoire, avec cette teinture des cheveux blancs qui leur donne un reflet violet. mais aussi la baignoire à pieds et la robinetterie à l’ancienne avec cette sensation de froid qui les accompagne. Peut-être que nous nous douchions à l’eau froide à cause d’un chauffe-eau capricieux… Par contre, j’adorais les boutons de porte en porcelaine, leur douceur, leur fraicheur, malgré les températures estivales. Et ce bruit si caractéristique que font les serrures des portes en bois massif.

Il faut que je vous raconte pourquoi on les appelle Grand-Père et Mamie de Marseille, car ils habitaient tout bonnement Marseille. Mon arrière grand-père, marin à la retraite avait établi la famille dans un appartement rue d’Endoume dans la cité phocéenne, son port d’attache au propre comme au figuré. Ils ne faisait que quelques dizaines de kilomètres pour les vacances et la période estivale direction la région de l’Esterel, à Saint Raphaël.

Sur le pallier, dans le couloir, la tapisserie est foncée. Vert, ou bleu foncé peut-être….

Souvent, on est pas les seuls à séjourner dans cette maison durant l’été, on y croise certaines années les cousins de papa, son oncle et sa tante (avé l’accent de Nîmes) et leurs enfants, et leur chienne. Il y a parfois la soeur de papa et ses filles qui ont le même âge que nous. Il y a souvent sa tante Françoise. Soeur Françoise. Avec ses jupes en tissus provençal, ses sandales et son éternel chemisier blanc et ses aquarelles, elle dort dans le “petit salon”. Et parfois son oncle Bernard, et sa femme Martine. Tout ce petit monde se retrouve le soir au jardin, pour l’apéro, et la pétanque, une fois que le soleil a disparu derrière la maison.

Et puis il y a la sieste de grand-père. Elle me semble interminable. Sans doute parce qu’il ne faut faire aucun bruit dans la maison ! On se réfugie au rez-de-chaussée dans les chambres, au frais, entre les murs épais qui nous protégeaient de la chaleur du milieu de journée. Seul le chant des cigales vient brouiller le silence qui envahit alors la maison. La sieste c’est sacré.

Il y a les réveils à la fraîche, où avant même d’avoir pris le petit-déjeuner, on profitait du jardin pour jouer en attendant que les parents se réveillent.

Je me souviens des départs pour la plage, à pied. On descend le Boulevard de Nice, en passant au dessus le chemin de fer. Un virage à gauche et la mer est là après la promenade, après avoir traversé le boulevard, à l’asphalte brûlant, et enfin le sable sous nos pieds nus. Quand au retour, on remonte le boulevard, je sens encore le sable entre les orteils, le goût du sel sur les lèvres, les cheveux en bataille encore dégoulinants et la peau chauffée par le soleil, et l’essoufflement de la côte. On se rince à l’eau froide, au tuyau d’arrosage dans le jardin, sous le palmier, les pieds dans les plantes rampantes qui tapissent le parterre central du jardin. Les jeux d’eaux dans le jardin sont immortalisés sur pellicule par mon papa, dans une série de photos qu’on pourrait appeler “jeu d’eaux et de lumière du soir”. Je crois que c’est avec ses photos de la maison de vacances que j’ai appris à apprécier la lumière du soir, sa douceur, sa chaleur, son énergie apaisante, qui appelle à la gratitude pour cette belle journée qui s’achève.

Et il y a les séances planche à voile de papa. Les journées de plage avec grand vent, pour qu’il puisse sortir sa planche. Le soin et le coeur qu’il mettait au nettoyage des voiles dans le jardin pour rincer le sel séché, et la minutie et la précision de la fixation de la planche, du mât turquoise, de la baume sur les barres de toit de la voiture. L’emportement que cela provoquait aussi chez lui quand il n’arrivait pas à fixer les choses comme il le souhaitait.

Il y a aussi la crique aux rochers rouge pas loin du centre-ville. On se baigne au milieux des rochers et je n’aime pas tellement me baigner là-bas, on ne voit pas le fond, car c’est une anse profonde et les vagues se cassent sur les rochers. L’eau est bleu marine. J’imagine toute sorte de créatures nageant sous mes pieds et pouvant surgir à tout instant. Mais c’est de là qu’André, mon grand-père, part pour nager plusieurs centaines de mètres au large. Cette plage m’impressionne beaucoup petite. Le chemin d’accès dans les rochers est escarpé et me paraît dangereux, surtout quand la mer est agitée, car ils sont glissants. Dans mes souvenirs, on y accède au bout d’un parking, où l’on gare la voiture après avoir passé quelques barrières. Mais je sais que c’est un endroit qu’affectionne beaucoup mes grands-parents car il y a peu de monde et c’est très sauvage. Quand on reprend la voiture, on se brûle les cuisses sur les sièges de la voiture restée au soleil.

Dans cette maison, je n’y ai jamais passé un été en me disant que ce serait le dernier. L’innocence, l’insouciance sans doute de l’enfance. Je sais juste qu’une année, alors qu’on était en vacances dans les Alpes, mes parents sont partis en catastrophe pour enterrer Grand-Père, ou Mamie de Marseille, à Marseille. Qu’ensuite on est moins allé à la maison de “Saraph” (petite quand les adultes parlait de Saint Raphaël, ils disaient “Saint-Raph”, et moi, j’ai longtemps entendu [Saraf]…) Et que quelques mois plus tard on enterrait le second. Et puis qu’un jour, mes grands-parents nous ont annoncé que mes grands-parents et leurs frères et soeurs avaient décidés de vendre la maison. Trop de frais d’entretiens, trop de travaux à prévoir. C’était plus sage et ils avaient une proposition de la propriété d’à côté qui voulait s’agrandir. Je ressens encore le déchirement qui m’a étreint à cette annonce. J’ai eu ce sentiment de ne pas avoir eu l’occasion de dire au revoir à cette maison que j’aimais tant. Je ne sais pas si c’est pour cela que je rêve un jour d’habiter de nouveau ce genre de maison Bourgeoise de la fin du Dix-neuvième siècle ou du début vingtième. Quand nous avons trouvé notre maison à Athis et que j’ai appris qu’elle était des années 30, j’avais l’impression de toucher un peu du doigt mon rêve, même si elle n’étais pas aussi ancienne que ça.

Ma maison de vacances n’existe plus que dans mes souvenirs. Et les écrire ici, avec des mots la fera sans doute vivre un peu plus longtemps d’une certaine manière. J’ai beaucoup de chance d’avoir pu y vivre mes vacances de petite fille. En sécurité, avec la sensation de liberté que j’éprouvais là-bas, et c’est sans doute dans ce petit coin de l’Esterel entre autre, que j’ai développé mon sens de l’émerveillement, avec l’aide de Mamie Annie, de Papa et des membres de la famille.

La maison à l’angle de l’avenue du Clocher de Fréjus, elle, existe toujours, elle a été transformé en résidence de repos, pour les retraités de la légion d’honneur. Je suis allée la voir, en 2006 lors d’un séjour dans le massif de l’Esterel. Elle me paraissait beaucoup plus petite. Le jardin aussi. Ce n’était pas comme dans mes souvenirs. La forêt de bambou n’existait plus. Le chêne liège avait disparu. Mais je suis heureuse d’y être retourné et d’avoir partagé ça avec mon homme. Ce petit coin de France fait partie de mon histoire, il a une place spéciale à jamais dans mon coeur.

Aujourd’hui, c’est une autre maison de vacances qui va être vendue : la maison de mes grands-parents maternels. C’est un autre coin de France qui se fait une place spéciale dans mon coeur depuis les années 90. Cette maison-là, construite dans les années 2000, pour remplacer celle d’avant devenue trop petite pour la famille qui s’agrandissait d’années en années, je n’en ai pas de tels souvenirs “nostalgiques”. En tout cas aucun souvenir qui ne soit autant gravé sensoriellement dans ma mémoire que mes souvenirs de la maison de Saint-Raph’. Sans doute aussi parce que comme toute maison moderne, elle avait moins de charme. Qu’à mes yeux elle n’a pas “d’âme”. Si ce n’est l’âme de ceux avec qui nous avons partagé et vécus de bons moments dedans. Je ne suis pas attachée aux murs, et aux sensations contrairement à la maison du Sud. J’y ai davantage de souvenirs de “moments”, d’anecdotes. Je vais regretter de ne plus croiser aussi souvent les cousins, de ne plus avoir de lieux ou nous savions que peu importe la période ou peu importe les dates de vacances que nous décidions d’y passer, nous croiserions forcément de la famille, plus ou moins proche durant quelques jours, parfois juste une soirée,  le temps d’une brève étape.

Je ne sais pas si dans trente ans, mes enfants garderont un souvenir aussi précis, aussi sensoriel, aussi colorés de leur maison de vacances, de la maison de leur arrière grand-mère, de mamie “de la Montagne” comme Gaspard aime la surnommer. Qui sait, c’est peut-être aussi l’âge à laquelle nous connaissons une maison qui fait notre attachement à celle-ci. En tout cas, j’espère qu’ils en garderont quand même un bon souvenir, qu’ils voudront la revoir un jour, et que quand ils reviendront sur le lieu de vacances d’enfant, ils se diront qu’ils la trouvent bien plus petite que dans leur souvenirs… mais qu’ils seront heureux de la montrer à leur conjoint et/ou à leurs propres enfants.

En attendant, je vais tâcher de profiter de ces derniers quelques jours que nous passerons tous ensemble dans cette maison fin août avant sa vente. Je vais essayer de graver dans ma mémoire les sensations, les couleurs, les paysages, les odeurs. Parce que finalement une maison n’est jamais aussi belle que dans nos souvenirs ! …

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